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CAMEROUN- CRISE ANGLOPHONE : SISIKU AYUK TABE – ‘LES AMBAZONIENS RÉSISTERONT JUSQU’AU DERNIER HOMME.’

Incarcéré à Yaoundé depuis trois ans, le président de la « république d’ambazonie » livre sa vision de la crise anglophone. Et pose des préalables à l’ouverture d’un dialogue avec les autorités camerounaises.

Interview par Georges dougueli [jeune Afrique]

Le temps n’a pas entamé sa détermination. De longs mois se sont pourtant écoulés depuis qu’il a été arrête au Nigeria, puis ramène au Cameroun pour y être juge par un tribunal militaire.

Reconnu coupable d’actes de sécession et de terrorisme en aout 2019, le président de la « république d’ambazonie » a été condamne à la prison a perpétuité et purge sa peine dans un pénitencier de Yaoundé.

Sisiku ayuk tabe, 55 ans, vit sa détention comme une profonde injustice, mais se dit toujours prêt a négocier avec les autorités camerounaises, qui, elles, considèrent que les hostilités ont pris fin dans les régions anglophones du sud-ouest et du nord-ouest.

Qu’espère ayuk tabe ? Quel rôle peut-il encore jouer du fond de sa cellule ? Une chose est sure : une défaite militaire signifierait, pour lui et ses neuf compagnons condamnes simultanement, une inversion sans doute irrémédiable du rapport de force. elle donnerait aussi un coup d’arrêt a la cause sécessionniste et diminuerait ses chances de pouvoir un jour sortir de prison.

Jeune Afrique : comment vous sentez-vous, après trois ans et deux mois d’incarcération ?

sisiku ayuk tabe : l’emprisonnement n’est jamais une bonne chose, quelles que soient vos conditions de détention. nous avons été condamnes, au Cameroun, apres avoir ete enleves le 5 janvier 2018 à abuja, alors que nous nous trouvions a l’hôtel nera, que nous étions des refugies et que nous avions depose une demande d’asile au nigeria.

Nous avons été emmenés au Cameroun en violation totale de toutes les lois et conventions nationales et internationales. d’ailleurs, en mars 2019, la haute cour d’abuja a statue que nous devions etre renvoyes au nigeria, liberes et indemnises.

Nous n’avons pas renonce : notre quete d’une ambazonie libre et independante depasse nos personnes et si [cette detention] est le prix a payer, nous le paierons.

êtes-vous bien traites ?

Comme tous les ambazoniens incarcérés dans diverses prisons du cameroun, nous sommes soumis a de graves traumatismes psychologiques et, parfois, a des conditions de detention inhumaines.

lorsque nous sommes malades et hospitalises, on nous enchaine a des lits d’hopitaux. c’est arrive a l’avocat shufai blaise berinyuy et, surtout, au frere thomas tangem, mort menotte a un lit d’hopital. en un mot, nos conditions de vie sont deplorables.

le tribunal militaire de yaounde vous a condamne a la prison a vie. comment s’est passe le proces ?

il a ete inequitable et injuste. un simulacre. le tribunal a engage une procedure criminelle et a rendu son verdict sans nous donner la possibilite d’avoir une assistance juridique ni meme d’etre entendus.

les juges ont tranche sur la base d’elements de preuves admis au tribunal sans aucun respect des procedures et des lois. l’un des accuses a fait un malaise durant l’audience, et la cour l’a quand meme poursuivie alors qu’il etait allonge sur un banc. il y a eu tellement d’irregularites que seuls nos avocats pourraient toutes vous les detailler !

Avez-vous fait appel ?

oui, dans le respect des procédures. Le 17 septembre 2020, la cour d’appel a, de la même manière que le premier tribunal, poursuivi les procedures en français devant nous, sans traducteurs. elle nous a refuse, ainsi qu’a nos avocats, toute possibilite de prendre la parole et a rendu son jugement dans les vingt minutes qui ont suivi l’audience, confirmant la decision du tribunal militaire de yaounde.

Nous nous sommes ensuite pourvus en cassation aupres de la cour suprême, comme l’exigent les lois camerounaises. mais, ce jour, nous n’avons aucune nouvelle. Cela n’est pas surprenant. Nous ne nous attendions pas a obtenir justice sur une question internationale devant une juridiction nationale.

Le gouvernement camerounais estime que les sécessionnistes ont été totalement vaincus. est-ce le cas ?

ce n’est pas la premiere fois que nous entendons de tels propos, très éloignés de la réalité. Nous connaissons tous le rapport des autorites camerounaises a la verite… souvenez-vous de leurs denegations s’agissant du massacre de ngarbuh ! [dans le nord-ouest et le sud-ouest], la guerre fait rage depuis quatre ans maintenant, et le monde regarde en silence.

Nous regrettons que la communauté internationale ne tienne pas ses engagements, tout comme nous deplorons les pertes en vies humaines. mais, tant que les militaires camerounais occuperont notre territoire, nous resisterons.

je precise que nous ne sommes pas des secessionnistes. les secessionnistes, ce sont ceux qui gouvernent le cameroun ! ceux qui veulent assimiler une nation qui s’est jointe a eux par referendum le 1er octobre 1961.

C’est pour cela que nous appelons la communaute internationale, et en particulier l’onu, a restaurer la legalite et la verite historique dans nos relations avec la republique du cameroun.

le gouvernement a souvent soutenu qu’il n’avait pas d’interlocuteurs avec qui negocier un retour a la paix. que lui repondez-vous ?

si [le president] paul biya pretend que notre cause n’a pas de leader serieux et qu’il ne sait pas a qui parler, alors pourquoi avons-nous ete enleves au nigeria ?

ces declarations visent a gagner du temps pendant que l’armee camerounaise tente de s’imposer sur le terrain. c’est une erreur, car les ambazoniens resisteront jusqu’au dernier homme, debout, et ce meme s’ils veulent la paix par-dessus tout.

souvenez-vous : en 1958, les southern cameroons [cameroun occidental] avaient organisé des élections démocratiques et un transfert pacifique du pouvoir avait eu lieu. nous avons toujours cheri les valeurs democratiques. il ne peut cependant y avoir de paix sans justice.

les sécessionnistes sont divises en factions rivales…

et alors ? ce n’est pas au gouvernement camerounais de decider a qui parler. les ambazoniens sont prets a engager des pourparlers et ils choisiront eux-memes leurs representants. personne ne decidera pour eux.

mais, avant toute discussion, nous demandons a paul biya de retirer son armee de nos rues, de liberer tous les prisonniers politiques, d’accorder une amnistie generale aux membres de la diaspora et d’accepter une mediation internationale, dans un lieu neutre.

si ces prealables sont satisfaits, alors les ambazoniens seront disposes a dialoguer. sinon, paul biya monologuera sans nous.

selon nos sources, vous avez entame des negociations avec certaines hautes autorites du cameroun. pouvez-vous nous le confirmer ?

nous n’avons pas a proprement parler mene de negociations avec la republique du cameroun. il n’est d’ailleurs pas dans notre interet de parler directement a paul biya.

cependant, je reconnais que nous avons eu des contacts avec certains de ses emissaires, a qui nous avons clairement exprime nos conditions prealables a l’ouverture formelle d’un dialogue. si les negociations n’ont pas encore commence, c’est parce que nos exigences n’ont pas ete satisfaites.

la resolution 2565 du conseil de securite de l’onu appelle a un cessez-le-feu. seriez-vous pret a denoncer la violence et a appeler a une treve ?

laissez-moi vous rappeler qu’il y a deja eu des appels au cessez-le-feu, y compris l’annee derniere, mais que paul biya ne les pas respectes. notez egalement qu’il n’a jamais ete question pour l’ambazonie de s’opposer au gouvernement camerounais par la violence.

le grand dialogue national n’a été qu’une mascarade »

nous n’avons fait que nous defendre contre une armee d’occupation. la preuve en est qu’il n’y a eu aucun acte de violence dans la partie francophone du cameroun. nous n’avons jamais mene une offensive hors de notre territoire.

des l’instant ou paul biya aura declare un cessez-le-feu et qu’il se sera engage sur les quatre points que je vous ai enumeres, nous vous assurons que les violences cesseront.

le senat des états-unis appelle yaounde a ouvrir un dialogue authentique et ouvert a tous. le gouvernement camerounais, de son cote, rappelle qu’il a deja organise un grand dialogue national, en 2019. que pensez-vous des recommandations qui avaient alors ete formulees ?

ce prétendu « grand dialogue » n’etait rien de plus qu’une reunion des amis de paul biya. ce sont eux qui ont approuvé l’ordre du jour dicte par le parti au pouvoir. c’etait une mascarade et un monologue et, pour nous, un non-evenement. une perte de temps et d’argent.

Vous avez demande a l’onu d’ouvrir une enquete dans le cameroun anglophone. en quoi est-ce nécessaire ?

Au moment où nous parlons, plusieurs rapports affirment que plus de 32 500 civils ont ete tues. plus de 1 million d’enfants ne sont pas scolarises, plus de 550 villages ont ete rases et plus de 3 000 personnes se trouvent en prison. des centaines de nos femmes et filles ont été violées, des milliers de nos proches sont portés disparus.

la norwegian refugees commission a déclaré, deux années de suite, qu’il s’agissait de la crise la moins médiatisée au monde, ce qui est evidemment lie au fait que le gouvernement camerounais empêche les enquêteurs indépendants de venir sur le terrain. Une mission mandatée par l’ONU est donc absolument nécessaire pour dévoiler la gravite des atrocités commises.

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