Amadou Vamoulké, Ancien Directeur général de la Cameroon Radio télévision (CRTV) ,
Ancien Président de l’Union des Radios et Télévisions Internationales (URTI),
Ancien Président du Réseau de l’Audiovisuel Public d’Afrique Francophone (RAPAF). Il estime que les charges fantasmagoriques qui l’accablent ne portent pas sur un enrichissement personnel et qu’il se retrouve sans raison valable dans un procès qui, ne pouvant aboutir, a établi un record mondial de 64 renvois consécutifs.
Monsieur le Ministre,
Un troisième locataire de la cellule que je partage avec huit autres détenus vient d’être testé positif à la COVID 19 et amené à l’hôpital. Le deuxième est revenu dans notre cellule en étant porteur de sévères séquelles, avec des douleurs étouffantes à la poitrine. Ce dernier nous a rapporté que le premier, qu’il a laissé à l’hôpital, lui a appris que ses poumons étaient endommagés à 40%.
Je sais que ce mal mortel m’attend au tournant et pourrait m’emporter, que le pire pourrait advenir et que vous pourriez être amené à redire les mots que vous auriez prononcés en apprenant la mort de Frédéric Ekande (que vous connaissiez pourtant bien), survenue la veille de la fin de ses 12 ans de prison: »ça ne me fait ni chaud ni froid ».
On finira par savoir pourquoi vous ne croyez pas devoir accorder un peu d’attention aux dénonciations de la manière dont votre autoritarisme nuisible conduit la justice au Cameroun. Oui, nous en connaissons la rengaine mais personne n’y croit : »la justice est indépendante du pouvoir exécutif’‘. Il faut le démontrer. Les anglais disent »the proof of the pudding is in the eating’‘. Je doute que vous ne sachiez pas que les charges fantasmagoriques qui m’accablent ne portent pas sur un enrichissement personnel et que je me retrouve sans raison valable dans un procès qui, ne pouvant aboutir, a établi un record mondial de 64 renvois consécutifs. Je ne reviendrai pas non plus sur le fait que, malgré mon statut d’inculpé libre et mon état de santé qui selon les experts médicaux nécessiterait une extradition sanitaire, je demeure emprisonné illégalement depuis près de cinq années. Cette parodie de justice a été largement dénoncée dans notre pays du Cameroun, mais aussi officiellement par l’ONU et d’autres organisations internationales.
Le temps est en effet venu de m’adresser à vous publiquement et dans l’urgence (je m’en excuse car vous auriez déclaré que »les urgences c’est à l’hôpital »). Je voudrais ainsi prendre date sur trois points : – d’abord je vous envoie mon strident mais néanmoins déférent »Ave Laurentius, moriturus te salutat », comme le clamaient dans l’arène où on les projetait, les gladiateurs romains avant qu’un coup de sabre fatal ne leur tranche la tête. – ensuite vous rappeler que le mot « ministre », dans son étymologie latine, désigne un légat, à savoir quelqu’un qui est au service d’un autre, ou de son peuple. Ce peuple, dont je me demande bien désormais si j’en suis vraiment issu, dira un jour prochain s’il perçoit le service ce dont je me permets de douter. Mais si vous pensez être réellement au service d’un autre, merci de nous le confirmer pour que nous sachions qui vous donne ce droit quasi divin de vie et de mort sur vos concitoyens ? Et par la même, qui pensez-vous sera votre juge? – Enfin, il est bon que vous sachiez que vous m’avez, sans en avoir l’air et sans raison défendable, déclaré la guerre. Il m’a fallu un temps d’interrogation anormalement long pour en convenir, ne pouvant me résoudre à admettre que quelqu’un à qui vous n’avez fait aucun mal décide de vous mettre à mort, pour son bon plaisir ou pour son confort personnel. Je suis aujourd’hui porté à admettre ce que mes amis n’arrêtent pas de me dire, à savoir que mon seul tort serait d’avoir été trop honnête et trop intègre, et pour cela insupportable à certains. Si cela était définitivement vrai je dirais, en empruntant au poète québécois Gilles Vignault »Mon pays n’est pas un pays ».
Vous m’avez donc déclaré la guerre, ainsi soit-il. Mais je serais étonné que dans ce département du Mayo Danay dont je suis originaire, quelqu’un ne vous rappelle pas un jour de manière appropriée – et je l’espère proportionnée – que vous avez outrepassé votre pouvoir en dépassant toutes les bornes de l’inhumanité.
Je sais que cette interpellation publique peut me valoir, comme à certains autres déjà, d’être transféré dans un lieu d’incarcération plus inhumain comme la prison du SED (Secrétariat d’Etat à la Défense). Mais cela m’importe peu, puisque sans avoir jamais rien détourné, j’ai déjà passé 1708 jours d’incarcération illégale à la prison de Kondengui.
Salutations distinguées.
P-S : Personne n’a compris que vous veniez déclarer avant-hier dans les médias que la prison de Kondengui est surpeuplée avec 3500 locataires dans un espace prévu pour 1000. Les prisonniers ne seraient donc pas concernés par les prescriptions gouvernementales et celles de l’OMS en ces temps de pandémie ravageuse ?