Apparus en juin, les jassides se montrent résistants aux produits utilisés par les cultivateurs. Selon les spécialistes du secteur, la moitié de la récolte pourrait être perdue.
Yacou Soro, propriétaire de 5 hectares et producteur de coton à Dihi, dans le nord de la Côte d’Ivoire, subit de plein fouet l’attaque des ravageurs. Il dit n’avoir jamais vu ça. YOUENN GOURLAY
Lazeni Soro a 56 ans, dont quarante passés dans les champs de coton. Une matière première qui a permis à ce producteur de devenir un homme très respecté et le chef du village de Dihi, à quelques kilomètres de Korhogo, dans le nord de la Côte d’Ivoire. Grâce à ses 17 hectares, le planteur est fier de dire qu’il réussit à scolariser ses 28 enfants, âgés de 8 à 19 ans. Mais cette année, « ce sera plus difficile de subvenir aux besoins de la famille », s’agace-t-il : « Je n’ai jamais vu ça. » Sa récolte pourrait chuter de 40 à 5 tonnes de coton.
Il n’est pas le seul à affronter cette « année catastrophique », comme la qualifie Bakary Soro Coulibaly, conseiller technique de la Compagnie ivoirienne du coton (COIC), en jetant un œil au carnet dans lequel sont consignés les tonnages des producteurs de Dihi. A Korhogo, les unités de nettoyage et d’égrenage de la COIC, une des plus importantes sociétés cotonnières du pays, tournent au ralenti. « Les employés travaillent deux ou trois mois au lieu de cinq ou six habituellement », compare Lassina Dagnogo, responsable de la production.
Car depuis le mois de juin 2022, des milliers de cultivateurs font face, quasi impuissants, aux attaques des jassides. Bien connus ici, ces insectes ravageurs s’abattent régulièrement sur les champs de coton du nord du pays mais sont le plus souvent maîtrisés par les insecticides lors des différentes phases de croissance de la plante.
Apparus en début de campagne, les jassides se sont montrés cette fois-ci plus résistantes aux produits utilisés par les producteurs. Et pour cause : « C’est une nouvelle espèce qui est apparue dans nos champs et qui s’est répandue dans toute la zone cotonnière », révèle Malanno Kouakou, entomologiste au Centre national de recherche agronomique (CNRA), à Bouaké. L’espèce, découverte pour la première fois en Inde, serait arrivée en Afrique de l’Ouest en raison « de la mondialisation et des échanges commerciaux », pense le chercheur.
Deux nouveaux insecticides
Alors que les producteurs étaient habitués à un minuscule insecte blanc, celui-ci est vert avec deux points noirs sur le dos. « Et cette espèce est plus mobile », constate l’entomologiste,qui travaille avec six autres chercheurs sur les problématiques cotonnières: « Elle se développe sur différentes plantes, différentes cultures, ce qui la rend difficile à maîtriser. Elle a une capacité à se multiplier plus rapidement que les autres. »
Dans cette crise régionale, le CNRA se targue d’avoir été le premier laboratoire à donner l’alerte grâce à un système d’alerte précoce qu’il souhaiterait voir étendu aux pays voisins. Ses chercheurs ont élaboré deux nouveaux insecticides à partir de matières actives existantes. Testés en laboratoire et sur le terrain, ils seront disponibles lors de la prochaine campagne.
Les chercheurs travaillent sur la création de variétés plus résistantes, comme un coton à feuilles « poilues ». « Evidemment, ce sont des produits polluants, mais les quantités que nous utilisons respectent les normes », assure-t-on au CNRA. « Et ce sont des produits à court terme, des solutions d’urgence », souligne Malanno Kouakou, qui préconise des méthodes de biocontrôle sur le long terme : « Nous devons davantage étudier cette espèce, trouver ses points faibles, observer ses ennemis naturels dans notre propre écosystème, mieux gérer l’eau en développant des systèmes d’irrigation adaptés à la culture cotonnière. » En attendant, les chercheurs travaillent aussi sur la création de variétés plus résistantes, comme un coton à feuilles « poilues » qui aurait la capacité d’éloigner les ravageurs.
Dérèglement climatique
D’après le Conseil coton anacarde (CCA), chargé de réguler la filière et de faire le lien entre les 132 000 producteurs et le gouvernement, « l’Etat s’est engagé à racheter les dettes des producteurs lors d’un conseil présidentiel qui s’est tenu courant janvier ». Une nouvelle aide potentielle alors que l’Etat a déjà dû juguler la flambée du prix des engrais en 2022 à coups de subventions.
Pour les chercheurs et les acteurs de la filière, le dérèglement climatique est en cause dans la multiplication de ces infestations. « La campagne commence en mai, juin, au moment de la saison des pluies. Et si durant les premiers mois il y a des poches de sécheresse de plus de dix jours, cela devient une condition favorable à l’installation du ravageur », développe Malanno Kouakou. Durant les périodes sèches, de plus en plus longues dans le nord du pays, l’insecte, à la recherche d’eau, puise dans la sève des cotonniers pour se nourrir, ce qui dessèche les plants et empêche leur développement.