La 52e fête nationale, il y a une semaine, a encore laissé voir une flopée d’expressions du patriotisme des Camerounais. Sur les réseaux sociaux notamment, les pages Facebook, les statuts WhatsApp et les comptes Tik Tok et autres plateformes ont abondamment servi de tribune à plusieurs d’entre nous, pour déclarer, voire exhiber leur amour pour le vert-rouge-jaune.
Le « Continent », expression désormais consacrée, a donc eu droit à des effusions qui ne laissent apparemment aucun doute sur la force du lien qui unit les filles et fils de ce pays à leur Nation. C’était beau, c’était fort, et presque rassurant même.
Mais comme disent souvent les romantiques, une chose est de clamer son amour, une autre est de le montrer dans les actes. Dans la vie de tous les jours. Et là-dessus, il y a souvent un écart. Plusieurs comportements, plusieurs scènes de vie quotidienne suscitent des questions, sur la véritable nature de la relation qui unit les Camerounais à leur pays. Du citoyen ordinaire au responsable au niveau le plus élevé, presque personne n’échappe à ce questionnement. Ce qui apparaît au final, c’est que beaucoup d’entre nous, avons une bien curieuse manière d’aimer notre pays.
Ça commence par des gestes élémentaires. Des écarts de comportement devenus si banals que nous ne réalisons plus à quel point ils font du mal au pays et à son image. Par exemple, aujourd’hui encore, il est fréquent de voir un emballage ou des ordures voler de l’intérieur d’une voiture qui roule pour se retrouver sur la chaussée. Des adultes le font, en présence de plus jeunes parfois leurs propres enfants qui vont reproduire le même geste. Pareil pour le non-respect ostentatoire de la signalisation routière. Le feu rouge, c’est pour ceux qui ne sont pas pressés. Les autres passent allégrement, toute honte bue. Et c’est ainsi pratiquement dans chaque situation qui demande de la patience et de l’ordre. Dans les embouteillages, devant les guichets, beaucoup détestent s’aligner. Ils choisissent de créer leur propre rang, bientôt suivis par des dizaines de semblables. Résultat : un temps plus long dans les files. Et des engorgements qui bloquent tout le monde.
Aimer son pays, ce serait donc aussi commencer par se débarrasser de cet incivisme qui colle pratiquement à la peau de chaque Camerounais qui se respecte. Apprendre à respecter les règles de la vie en société, les limites de sa propre liberté face à celle des autres. Bien conduire sa belle voiture, mais avant tout, bien se conduire soi-même. Pour les adultes, l’idée prend carrément les allures d’un impératif catégorique, en raison de leur position de modèle. Avis donc aux parents qui affichent des comportements peu recommandables devant leurs enfants. Comme proférer des injures à l’endroit d’un autre automobiliste ou d’un enseignant. C’est une forme d’héritage qu’on transmet ainsi à sa progéniture. Pourquoi s’étonner après, que ces habitudes survivent si bien au temps ? Malgré les leçons de morale et d’éducation civique dispensées à l’école, c’est souvent l’application pratique qui se grave dans la mémoire.
L’autre curieuse manière d’aimer le Cameroun, c’est cette fâcheuse tendance qu’on les filles et fils de ce pays, à lui tendre la main, inlassablement, sans jamais penser à apporter leur pierre, comme si la construction de la croissance revenait à certains, et la réception des fruits à tout le monde, de droit. La perception de l’Etat « vache à lait » est encore fortement ancrée dans les esprits ici. On a envie de demander, à l’image de John F. Kennedy, « ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour votre pays ». Mais le Camerounais l’entend-il de cette oreille ? Pas si sûr. La tendance est plutôt à tirer le maximum de profit pour soi. Un rapport bien curieux à l’intérêt général, qu’un célèbre philosophe de la place a désigné par le néologisme « mapartisme ». Eh oui, nous adorons notre pays, mais nous voulons chacun sa part du « gâteau ». Nous voulons bien marquer les esprits, laisser une trace dans l’histoire ou le développement du Cameroun, mais ça va encore mieux avec en contrepartie, un bon petit bout de la fortune publique. Et pas toujours sous forme de juste récompense des efforts.
Si la corruption fait autant de la résistance chez nous, ce n’est pas parce qu’elle est une fatalité. Mais bel et bien parce que nous l’entretenons et qu’elle nous permet d’avoir notre part. Et l’on ne parle plus forcément là du citoyen ordinaire. Mais bien de tous ceux qui ont la chance d’accéder à des positions de prise de décision, ou à tous ceux qui par la force des choses se retrouvent en posture de leaders d’opinion. On pense à ces hommes politiques qui oublient de surveiller leur langage et tiennent de propos faisant allusion au chaos, juste parce qu’ils ne peuvent pas réaliser leurs rêves ou leurs projets politiques.
Mais on n’oublie pas ces nombreux autres, hauts responsables de l’administration publique, chargés de mener ou de coordonner les grands projets de développement pour le bien-être de l’ensemble des populations. Mais qui passent maîtres des effets d’annonces, réveillant des espoirs qu’il est ensuite difficile de combler. A coups de chiffres (pourcentages, milliards, mégawatts, kilomètres, et autres mètres cubes), ils ont l’art d’induire en erreur et de faire miroiter le bout du tunnel, en masquant parfois les contraintes qui rendent difficile la réalisation effective d’un projet (études de faisabilité faussées par exemple).
Ce tableau peu reluisant est une interpellation pour chaque Camerounaise et chaque Camerounais. Si nous aimons notre pays, il va résolument falloir le montrer de manière plus concrète et plus efficace. Car en définitive, il ne suffit pas de poster un drapeau national sur son statut WhatsApp le 20 mai, d’avoir son maillot des Lions indomptables, son vert-rouge-jaune posé sur la table au bureau, dans son salon ou dans sa voiture. Pour se développer et devenir le « Continent » que nous clamons avec fierté, le pays attend plus de nous. Beaucoup plus.