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CAMEROUN : L’incapacité DU GOUVERNEMENT A IMPLÉMENTER LA DÉCENTRALISATION

Les crises sociopolitiques auxquelles l’Etat fait face ont ramené sur la table de la réflexion des préoccupations relatives à la forme et à l’organisation de l’Etat. Au plus fort de la crise anglophone1, commencée en octobre 2016, l’Etat a placé la décentralisation au cœur de ses stratégies de remédiation durable. Cependant, ce programme d’action publique3 inscrit dans la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, suivi des réformes normatives et institutionnelles à partir de 2004, n’a toujours pas porté ses fruits. Le constat est que la décentralisation n’est pas encore effective et la thèse de l’option fédéraliste lui est opposée.

Isaac Essamé

Docteur Ph.D en Science Politique

Université de Douala

Diplômé du CEFAM/NASLA

Expert en décentralisation

Dès lors, la nécessité de comprendre la sclérose de la politique publique, appelée décentralisation, revêt un regain d’intérêt au Cameroun. Il importe de savoir pourquoi la décentralisation en tant que programme d’action publique défendu par le gouvernement depuis 1996 n’est pas encore effective

Malgré la multiplicité des dispositifs normatifs et institutionnels. La sclérose désigne une incapacité à évoluer, à s’adapter à une nouvelle situation. La décentralisation, quant à elle, consiste en une technique d’organisation administrative par laquelle l’État transfère une partie de ses compétences et de ses ressources aux collectivités décentralisées qui jouissent d’une autonomie administrative et financière et restent soumises au contrôle de tutelle de l’État4. Elle est « une modalité d’organisation du pouvoir administratif dans laquelle l’État crée des personnes publiques décentralisées et leur attribue des compétences et des ressources tout en conservant des pouvoirs de tutelle et de surveillance5 ». La sclérose de la décentralisation se dévoile comme l’étouffement de cette politique publique empêchant son effectivité. Elle invite à s’interroger sur les logiques stratégiques et utilitaires des acteurs entendues au sens des actions de ceux qui interviennent dans sa mise en œuvre. Jusqu’ici, les auteurs s’intéressant aux préoccupations relatives à la décentralisation hésitent à explorer la problématique des difficultés de la mise en œuvre effective de cette politique publique au Cameroun. Certains tels que Gilbert Biwolé, Jean Pierre Kuaté et Joseph Owona9 se sont contentés de décrire le mécanisme de la décentralisation dans ses aspects normatifs et institutionnels. D’autres tels que Martin Finke, Suzane Ngane et Barthélémy Kom Tchuenté ont choisi de mettre un accent sur les activités politiques, administratives et financières de l’administration municipale. Et pourtant,

nous sommes bien obligés de constater aujourd’hui que ni les discours sur la décentralisation, ni la multiplicité des normes et institutions ne l’ont encore rendue effective au Cameroun. Le contenu du Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées, les actes d’annonce et les comportements semblent s’inscrire dans la même logique bien que le contexte soit différent. Cela rappelle, à s’y méprendre, l’optimisme affiché à l’avènement constitutionnel de l’Etat unitaire décentralisé en 1996 ou encore des normes essentielles relatives à la décentralisation de 2004.

Le paradoxe de la politique de décentralisation

Les pouvoirs publics promeuvent la décentralisation en apparence et s’affairent à étouffer son effectivité lorsqu’on pousse l’observation et l’analyse plus loin. Ce paradoxe est mis en évidence par le comportement des autorités centrales et des autorités déconcentrées. Cela peut s’expliquer par

la construction du retard normatif et institutionnel (A), d’une part, et par la duplicité de la tutelle (B), d’autre part.

A/ La construction du retard normatif et institutionnel

La décentralisation ne saurait se concrétiser dans son effectivité en justifiant la lenteur de son processus par le principe de progressivité. Une telle lenteur est construite et repose sur le jeu de la dévolution normative  et la mise en place tardive des institutions dédiées à la décentralisation.

1- Le jeu de la dévolution normative

La pertinence d’une norme juridique s’apprécie à l’égard de son applicabilité et de son application en temps opportun. Ainsi, le fait d’édicter une norme sans se soucier de sa mise en œuvre pratique ne rend pas service à la « volonté décentralisatrice ». Un système de freinage normatif se dévoile sous la forme de la dévolution législative ou réglementaire. Cette réalité est aussi évoquée par Fabien Nkot dans la perspective de la libéralisation de la presse au Cameroun à travers ce qu’il appelle « la technique de l’abstention normative »17. Néanmoins, s’il est possible de comprendre la dévolution

législative opérée par le constituant, il reste difficile de se convaincre de celle consacrée par le législateur. La norme constitutionnelle est une norme fondamentale18. Elle plante le décor normatif et laisse le soin au législateur d’apporter des précisions sur l’action ou le domaine juridiquement encadré19. Par conséquent, le constituant s’occupe des grandes lignes et le législateur des détails. A ce propos, un regard sur les dispositions constitutionnelles relatives à la décentralisation met en relief quelques morceaux choisis. La lecture de ces dispositifs révèle d’abord que « tout autre type de collectivité territoriale décentralisée est créée par la loi », au sens de la loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, modifiée le 14 avril 2008 dans son article 55 alinéa 1. Bien plus, « l’organisation, le fonctionnement et le régime financier des collectivités territoriales décentralisées sont déterminés par la loi », selon l’article 55 alinéa 5. Il est fréquent de trouver dans la Constitution des expressions telles que : « déterminé par la loi » et « fixé par la loi ». Par cette technique, le constituant attribue des compétences au législateur. Une telle responsabilité normative met à l’épreuve le dynamisme du Parlement. Ce dernier brille par sa rareté en matière de propositions de loi dans la mesure où l’exécutif initie la plupart des lois par le mécanisme des projets de loi. On se rapproche d’une situation de quasi-monopole de l’exécutif.

La mise en place tardive des institutions dédiées à la décentralisation

Le calendrier de la mise en place des institutions de la décentralisation au Cameroun n’est pas respecté. L’impression qui s’en dégage est celle de son inexistence tant il est vrai que la démarche est la projection permanente sur un futur indéterminé. Lorsqu’une échéance est difficile à tenir, l’évocation du principe de progressivité devient une échappatoire manifestement peu crédible dans un contexte de nouveau management public27. La plupart des institutions annoncées depuis 1996 sont tardivement arrivées 28. C’est le cas du Sénat en 201329, soit 17 ans après. Et pourtant, on lui reconnaît un rôle essentiel dans la préservation des intérêts des collectivités territoriales décentralisées. Sa fonction de surveillance lui donne une vocation à contrôler les textes soumis au Parlement afin de s’assurer que leur contenu ne leur est pas préjudiciable. Les conseillers municipaux et les conseillers régionaux élisent précisément 70% des sénateurs. L’attente est sans doute que les représentants locaux au Parlement puissent jouer efficacement ce rôle. La lenteur dans la mise en place institutionnelle pose problème30. Il est tout aussi regrettable que le Conseil constitutionnel ait organiquement été institué vingt-deux ans plus tard. L’une de ses fonctions consiste au contrôle de constitutionnalité des lois. Les présidents des conseils régionaux ont alors la possibilité de le saisir pour les affaires concernant les régions, collectivités territoriales décentralisées31. Cependant, la rigueur d’une telle exigence tombe en l’absence des régions. Les tribunaux administratifs de proximité sont également arrivés seize ans après l’acte du constituant de 1996 et six ans à la suite de celui du législateur. De 2006. Les tribunaux administratifs traduisent l’idée d’une décentralisation de la justice administrative qui était essentiellement exercée jusqu’en 2012 par la Chambre administrative de la Cour suprême. En matière de décentralisation, les juridictions administratives sont un rempart contre l’arbitraire des autorités de tutelle. A ce propos, il est surprenant que de nombreux magistrats municipaux hésitent à saisir les tribunaux administratifs. Un autre étonnement est la création du MINDDEVEL le 02 mars 2018 alors que la CADDEL en parlait déjà depuis 2010. Ce Ministère est resté jusqu’en décembre 2018 sans un personnel effectif et consistant. Une fois encore, la logique de la progressivité postule que le temps des autorités centrales n’est pas celui des populations. Avant cette date, ce Ministère était une composante de celui de l’administration territoriale. On parlait alors de Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation (MINATD) avec un Ministre et un Ministre délégué en charge des collectivités décentralisées, accompagné d’une Direction des Collectivités Territoriales Décentralisées (DCTD).

En définitive, la sclérose de la décentralisation vécue depuis 1996 au Cameroun trouve une explication dans les logiques stratégiques et utilitaires des acteurs. La priorité que les acteurs du processus de décentralisation accordent à leurs calculs personnels n’est pas de nature à annoncer des lendemains meilleurs dans la conduite de cette politique publique. Les blocages sont à la fois l’œuvre des pouvoirs publics centraux, de la tutelle, de l’administration locale et des populations. La multiplicité des dispositifs normatifs et institutionnels, l’organisation des divers séminaires, sommets et journées consacrés à la réflexion sur la décentralisation ne sont pas des indicateurs fiables d’une volonté de conduire ce programme d’action publique vers son effectivité. L’effervescence autour du Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées ressemble à du déjà-vu. Il n’est possible d’y parvenir sereinement qu’en sensibilisant l’ensemble des populations, en corrigeant les mentalités des acteurs du processus de décentralisation, en mobilisant les ressources adéquates et en recourant au management public local.

Les crises sociopolitiques auxquelles l’Etat fait face ont ramené sur la table de la réflexion des préoccupations relatives à la forme et à l’organisation de l’Etat. Au plus fort de la crise anglophone1, commencée en octobre 2016, l’Etat a placé la décentralisation au cœur de ses stratégies de remédiation durable. Cependant, ce programme d’action publique3 inscrit dans la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, suivi des réformes normatives et institutionnelles à partir de 2004, n’a toujours pas porté ses fruits. Le constat est que la décentralisation n’est pas encore effective et la thèse de l’option fédéraliste lui est opposée.

Dès lors, la nécessité de comprendre la sclérose de la politique publique, appelée décentralisation, revêt un regain d’intérêt au Cameroun. Il importe de savoir pourquoi la décentralisation en tant que programme d’action publique défendu par le gouvernement depuis 1996 n’est pas encore effective

Malgré la multiplicité des dispositifs normatifs et institutionnels. La sclérose désigne une incapacité à évoluer, à s’adapter à une nouvelle situation. La décentralisation, quant à elle, consiste en une technique d’organisation administrative par laquelle l’État transfère une partie de ses compétences et de ses ressources aux collectivités décentralisées qui jouissent d’une autonomie administrative et financière et restent soumises au contrôle de tutelle de l’État4. Elle est « une modalité d’organisation du pouvoir administratif dans laquelle l’État crée des personnes publiques décentralisées et leur attribue des compétences et des ressources tout en conservant des pouvoirs de tutelle et de surveillance5 ». La sclérose de la décentralisation se dévoile comme l’étouffement de cette politique publique empêchant son effectivité. Elle invite à s’interroger sur les logiques stratégiques et utilitaires des acteurs entendues au sens des actions de ceux qui interviennent dans sa mise en œuvre. Jusqu’ici, les auteurs s’intéressant aux préoccupations relatives à la décentralisation hésitent à explorer la problématique des difficultés de la mise en œuvre effective de cette politique publique au Cameroun. Certains tels que Gilbert Biwolé, Jean Pierre Kuaté et Joseph Owona9 se sont contentés de décrire le mécanisme de la décentralisation dans ses aspects normatifs et institutionnels. D’autres tels que Martin Finke, Suzane Ngane et Barthélémy Kom Tchuenté ont choisi de mettre un accent sur les activités politiques, administratives et financières de l’administration municipale. Et pourtant,

nous sommes bien obligés de constater aujourd’hui que ni les discours sur la décentralisation, ni la multiplicité des normes et institutions ne l’ont encore rendue effective au Cameroun. Le contenu du Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées, les actes d’annonce et les comportements semblent s’inscrire dans la même logique bien que le contexte soit différent. Cela rappelle, à s’y méprendre, l’optimisme affiché à l’avènement constitutionnel de l’Etat unitaire décentralisé en 1996 ou encore des normes essentielles relatives à la décentralisation de 2004.

Le paradoxe de la politique de décentralisation

Les pouvoirs publics promeuvent la décentralisation en apparence et s’affairent à étouffer son effectivité lorsqu’on pousse l’observation et l’analyse plus loin. Ce paradoxe est mis en évidence par le comportement des autorités centrales et des autorités déconcentrées. Cela peut s’expliquer par

la construction du retard normatif et institutionnel (A), d’une part, et par la duplicité de la tutelle (B), d’autre part.

A/ La construction du retard normatif et institutionnel

La décentralisation ne saurait se concrétiser dans son effectivité en justifiant la lenteur de son processus par le principe de progressivité. Une telle lenteur est construite et repose sur le jeu de la dévolution normative  et la mise en place tardive des institutions dédiées à la décentralisation.

1- Le jeu de la dévolution normative

La pertinence d’une norme juridique s’apprécie à l’égard de son applicabilité et de son application en temps opportun. Ainsi, le fait d’édicter une norme sans se soucier de sa mise en œuvre pratique ne rend pas service à la « volonté décentralisatrice ». Un système de freinage normatif se dévoile sous la forme de la dévolution législative ou réglementaire. Cette réalité est aussi évoquée par Fabien Nkot dans la perspective de la libéralisation de la presse au Cameroun à travers ce qu’il appelle « la technique de l’abstention normative »17. Néanmoins, s’il est possible de comprendre la dévolution

législative opérée par le constituant, il reste difficile de se convaincre de celle consacrée par le législateur. La norme constitutionnelle est une norme fondamentale18. Elle plante le décor normatif et laisse le soin au législateur d’apporter des précisions sur l’action ou le domaine juridiquement encadré19. Par conséquent, le constituant s’occupe des grandes lignes et le législateur des détails. A ce propos, un regard sur les dispositions constitutionnelles relatives à la décentralisation met en relief quelques morceaux choisis. La lecture de ces dispositifs révèle d’abord que « tout autre type de collectivité territoriale décentralisée est créée par la loi », au sens de la loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, modifiée le 14 avril 2008 dans son article 55 alinéa 1. Bien plus, « l’organisation, le fonctionnement et le régime financier des collectivités territoriales décentralisées sont déterminés par la loi », selon l’article 55 alinéa 5. Il est fréquent de trouver dans la Constitution des expressions telles que : « déterminé par la loi » et « fixé par la loi ». Par cette technique, le constituant attribue des compétences au législateur. Une telle responsabilité normative met à l’épreuve le dynamisme du Parlement. Ce dernier brille par sa rareté en matière de propositions de loi dans la mesure où l’exécutif initie la plupart des lois par le mécanisme des projets de loi. On se rapproche d’une situation de quasi-monopole de l’exécutif.

La mise en place tardive des institutions dédiées à la décentralisation

Le calendrier de la mise en place des institutions de la décentralisation au Cameroun n’est pas respecté. L’impression qui s’en dégage est celle de son inexistence tant il est vrai que la démarche est la projection permanente sur un futur indéterminé. Lorsqu’une échéance est difficile à tenir, l’évocation du principe de progressivité devient une échappatoire manifestement peu crédible dans un contexte de nouveau management public27. La plupart des institutions annoncées depuis 1996 sont tardivement arrivées 28. C’est le cas du Sénat en 201329, soit 17 ans après. Et pourtant, on lui reconnaît un rôle essentiel dans la préservation des intérêts des collectivités territoriales décentralisées. Sa fonction de surveillance lui donne une vocation à contrôler les textes soumis au Parlement afin de s’assurer que leur contenu ne leur est pas préjudiciable. Les conseillers municipaux et les conseillers régionaux élisent précisément 70% des sénateurs. L’attente est sans doute que les représentants locaux au Parlement puissent jouer efficacement ce rôle. La lenteur dans la mise en place institutionnelle pose problème30. Il est tout aussi regrettable que le Conseil constitutionnel ait organiquement été institué vingt-deux ans plus tard. L’une de ses fonctions consiste au contrôle de constitutionnalité des lois. Les présidents des conseils régionaux ont alors la possibilité de le saisir pour les affaires concernant les régions, collectivités territoriales décentralisées31. Cependant, la rigueur d’une telle exigence tombe en l’absence des régions. Les tribunaux administratifs de proximité sont également arrivés seize ans après l’acte du constituant de 1996 et six ans à la suite de celui du législateur. De 2006. Les tribunaux administratifs traduisent l’idée d’une décentralisation de la justice administrative qui était essentiellement exercée jusqu’en 2012 par la Chambre administrative de la Cour suprême. En matière de décentralisation, les juridictions administratives sont un rempart contre l’arbitraire des autorités de tutelle. A ce propos, il est surprenant que de nombreux magistrats municipaux hésitent à saisir les tribunaux administratifs. Un autre étonnement est la création du MINDDEVEL le 02 mars 2018 alors que la CADDEL en parlait déjà depuis 2010. Ce Ministère est resté jusqu’en décembre 2018 sans un personnel effectif et consistant. Une fois encore, la logique de la progressivité postule que le temps des autorités centrales n’est pas celui des populations. Avant cette date, ce Ministère était une composante de celui de l’administration territoriale. On parlait alors de Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation (MINATD) avec un Ministre et un Ministre délégué en charge des collectivités décentralisées, accompagné d’une Direction des Collectivités Territoriales Décentralisées (DCTD).

En définitive, la sclérose de la décentralisation vécue depuis 1996 au Cameroun trouve une explication dans les logiques stratégiques et utilitaires des acteurs. La priorité que les acteurs du processus de décentralisation accordent à leurs calculs personnels n’est pas de nature à annoncer des lendemains meilleurs dans la conduite de cette politique publique. Les blocages sont à la fois l’œuvre des pouvoirs publics centraux, de la tutelle, de l’administration locale et des populations. La multiplicité des dispositifs normatifs et institutionnels, l’organisation des divers séminaires, sommets et journées consacrés à la réflexion sur la décentralisation ne sont pas des indicateurs fiables d’une volonté de conduire ce programme d’action publique vers son effectivité. L’effervescence autour du Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées ressemble à du déjà-vu. Il n’est possible d’y parvenir sereinement qu’en sensibilisant l’ensemble des populations, en corrigeant les mentalités des acteurs du processus de décentralisation, en mobilisant les ressources adéquates et en recourant au management public local.

Les promoteurs de la décentralisation se sont efforcés à convaincre les fédéralistes au cours du Grand Dialogue National, tenu à Yaoundé du 30 septembre au 04 octobre 2019. Cette option fédéraliste se présente aujourd’hui pour certains telle une alternative au mouvement

Sécessionniste. L’on constate néanmoins que le gouvernement est fondamentalement opposé à ces deux dernières tendances sans pour autant convaincre sur l’effectivité de la décentralisation.

Les crises sociopolitiques auxquelles l’Etat fait face ont ramené sur la table de la réflexion des préoccupations relatives à la forme et à l’organisation de l’Etat. Au plus fort de la crise anglophone1, commencée en octobre 2016, l’Etat a placé la décentralisation au cœur de ses stratégies de remédiation durable. Cependant, ce programme d’action publique3 inscrit dans la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, suivi des réformes normatives et institutionnelles à partir de 2004, n’a toujours pas porté ses fruits. Le constat est que la décentralisation n’est pas encore effective et la thèse de l’option fédéraliste lui est opposée.

Dès lors, la nécessité de comprendre la sclérose de la politique publique, appelée décentralisation, revêt un regain d’intérêt au Cameroun. Il importe de savoir pourquoi la décentralisation en tant que programme d’action publique défendu par le gouvernement depuis 1996 n’est pas encore effective

Malgré la multiplicité des dispositifs normatifs et institutionnels. La sclérose désigne une incapacité à évoluer, à s’adapter à une nouvelle situation. La décentralisation, quant à elle, consiste en une technique d’organisation administrative par laquelle l’État transfère une partie de ses compétences et de ses ressources aux collectivités décentralisées qui jouissent d’une autonomie administrative et financière et restent soumises au contrôle de tutelle de l’État4. Elle est « une modalité d’organisation du pouvoir administratif dans laquelle l’État crée des personnes publiques décentralisées et leur attribue des compétences et des ressources tout en conservant des pouvoirs de tutelle et de surveillance5 ». La sclérose de la décentralisation se dévoile comme l’étouffement de cette politique publique empêchant son effectivité. Elle invite à s’interroger sur les logiques stratégiques et utilitaires des acteurs entendues au sens des actions de ceux qui interviennent dans sa mise en œuvre. Jusqu’ici, les auteurs s’intéressant aux préoccupations relatives à la décentralisation hésitent à explorer la problématique des difficultés de la mise en œuvre effective de cette politique publique au Cameroun. Certains tels que Gilbert Biwolé, Jean Pierre Kuaté et Joseph Owona9 se sont contentés de décrire le mécanisme de la décentralisation dans ses aspects normatifs et institutionnels. D’autres tels que Martin Finke, Suzane Ngane et Barthélémy Kom Tchuenté ont choisi de mettre un accent sur les activités politiques, administratives et financières de l’administration municipale. Et pourtant,

nous sommes bien obligés de constater aujourd’hui que ni les discours sur la décentralisation, ni la multiplicité des normes et institutions ne l’ont encore rendue effective au Cameroun. Le contenu du Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées, les actes d’annonce et les comportements semblent s’inscrire dans la même logique bien que le contexte soit différent. Cela rappelle, à s’y méprendre, l’optimisme affiché à l’avènement constitutionnel de l’Etat unitaire décentralisé en 1996 ou encore des normes essentielles relatives à la décentralisation de 2004.

Le paradoxe de la politique de décentralisation

Les pouvoirs publics promeuvent la décentralisation en apparence et s’affairent à étouffer son effectivité lorsqu’on pousse l’observation et l’analyse plus loin. Ce paradoxe est mis en évidence par le comportement des autorités centrales et des autorités déconcentrées. Cela peut s’expliquer par

la construction du retard normatif et institutionnel (A), d’une part, et par la duplicité de la tutelle (B), d’autre part.

A/ La construction du retard normatif et institutionnel

La décentralisation ne saurait se concrétiser dans son effectivité en justifiant la lenteur de son processus par le principe de progressivité. Une telle lenteur est construite et repose sur le jeu de la dévolution normative  et la mise en place tardive des institutions dédiées à la décentralisation.

1- Le jeu de la dévolution normative

La pertinence d’une norme juridique s’apprécie à l’égard de son applicabilité et de son application en temps opportun. Ainsi, le fait d’édicter une norme sans se soucier de sa mise en œuvre pratique ne rend pas service à la « volonté décentralisatrice ». Un système de freinage normatif se dévoile sous la forme de la dévolution législative ou réglementaire. Cette réalité est aussi évoquée par Fabien Nkot dans la perspective de la libéralisation de la presse au Cameroun à travers ce qu’il appelle « la technique de l’abstention normative »17. Néanmoins, s’il est possible de comprendre la dévolution

législative opérée par le constituant, il reste difficile de se convaincre de celle consacrée par le législateur. La norme constitutionnelle est une norme fondamentale18. Elle plante le décor normatif et laisse le soin au législateur d’apporter des précisions sur l’action ou le domaine juridiquement encadré19. Par conséquent, le constituant s’occupe des grandes lignes et le législateur des détails. A ce propos, un regard sur les dispositions constitutionnelles relatives à la décentralisation met en relief quelques morceaux choisis. La lecture de ces dispositifs révèle d’abord que « tout autre type de collectivité territoriale décentralisée est créée par la loi », au sens de la loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, modifiée le 14 avril 2008 dans son article 55 alinéa 1. Bien plus, « l’organisation, le fonctionnement et le régime financier des collectivités territoriales décentralisées sont déterminés par la loi », selon l’article 55 alinéa 5. Il est fréquent de trouver dans la Constitution des expressions telles que : « déterminé par la loi » et « fixé par la loi ». Par cette technique, le constituant attribue des compétences au législateur. Une telle responsabilité normative met à l’épreuve le dynamisme du Parlement. Ce dernier brille par sa rareté en matière de propositions de loi dans la mesure où l’exécutif initie la plupart des lois par le mécanisme des projets de loi. On se rapproche d’une situation de quasi-monopole de l’exécutif.

La mise en place tardive des institutions dédiées à la décentralisation

Le calendrier de la mise en place des institutions de la décentralisation au Cameroun n’est pas respecté. L’impression qui s’en dégage est celle de son inexistence tant il est vrai que la démarche est la projection permanente sur un futur indéterminé. Lorsqu’une échéance est difficile à tenir, l’évocation du principe de progressivité devient une échappatoire manifestement peu crédible dans un contexte de nouveau management public27. La plupart des institutions annoncées depuis 1996 sont tardivement arrivées 28. C’est le cas du Sénat en 201329, soit 17 ans après. Et pourtant, on lui reconnaît un rôle essentiel dans la préservation des intérêts des collectivités territoriales décentralisées. Sa fonction de surveillance lui donne une vocation à contrôler les textes soumis au Parlement afin de s’assurer que leur contenu ne leur est pas préjudiciable. Les conseillers municipaux et les conseillers régionaux élisent précisément 70% des sénateurs. L’attente est sans doute que les représentants locaux au Parlement puissent jouer efficacement ce rôle. La lenteur dans la mise en place institutionnelle pose problème30. Il est tout aussi regrettable que le Conseil constitutionnel ait organiquement été institué vingt-deux ans plus tard. L’une de ses fonctions consiste au contrôle de constitutionnalité des lois. Les présidents des conseils régionaux ont alors la possibilité de le saisir pour les affaires concernant les régions, collectivités territoriales décentralisées31. Cependant, la rigueur d’une telle exigence tombe en l’absence des régions. Les tribunaux administratifs de proximité sont également arrivés seize ans après l’acte du constituant de 1996 et six ans à la suite de celui du législateur. De 2006. Les tribunaux administratifs traduisent l’idée d’une décentralisation de la justice administrative qui était essentiellement exercée jusqu’en 2012 par la Chambre administrative de la Cour suprême. En matière de décentralisation, les juridictions administratives sont un rempart contre l’arbitraire des autorités de tutelle. A ce propos, il est surprenant que de nombreux magistrats municipaux hésitent à saisir les tribunaux administratifs. Un autre étonnement est la création du MINDDEVEL le 02 mars 2018 alors que la CADDEL en parlait déjà depuis 2010. Ce Ministère est resté jusqu’en décembre 2018 sans un personnel effectif et consistant. Une fois encore, la logique de la progressivité postule que le temps des autorités centrales n’est pas celui des populations. Avant cette date, ce Ministère était une composante de celui de l’administration territoriale. On parlait alors de Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation (MINATD) avec un Ministre et un Ministre délégué en charge des collectivités décentralisées, accompagné d’une Direction des Collectivités Territoriales Décentralisées (DCTD).

En définitive, la sclérose de la décentralisation vécue depuis 1996 au Cameroun trouve une explication dans les logiques stratégiques et utilitaires des acteurs. La priorité que les acteurs du processus de décentralisation accordent à leurs calculs personnels n’est pas de nature à annoncer des lendemains meilleurs dans la conduite de cette politique publique. Les blocages sont à la fois l’œuvre des pouvoirs publics centraux, de la tutelle, de l’administration locale et des populations. La multiplicité des dispositifs normatifs et institutionnels, l’organisation des divers séminaires, sommets et journées consacrés à la réflexion sur la décentralisation ne sont pas des indicateurs fiables d’une volonté de conduire ce programme d’action publique vers son effectivité. L’effervescence autour du Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées ressemble à du déjà-vu. Il n’est possible d’y parvenir sereinement qu’en sensibilisant l’ensemble des populations, en corrigeant les mentalités des acteurs du processus de décentralisation, en mobilisant les ressources adéquates et en recourant au management public local.

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