L’analyse profonde de l’évolution de la courbe économique camerounaise à partir des années 80 montre très clairement que le pays n’a pas su profiter de l’extraordinaire surcroît de richesse émanant du développement des exportations de pétrole pour créer les conditions d’une autre source de croissance.
Une bonne compréhension de la situation macro-économique du Cameroun depuis l’accession du président Biya à la magistrature suprême passe par une meilleure exégèse et compréhension des soubresauts politiques qui ont secoué la vie publique nationale depuis plusieurs décennies.
A l’évidence, l’évolution de l’économie nationale, partant des années 80 démontre à suffisance que le pays n’a pas su mettre à profit les excédents de richesse issus des exportations , principalement du pétrole, mais aussi des produits agricoles, pour créer des conditions de sources alternatives de croissance dans l’optique de palier, soit à la détérioration des termes de l’échange, soit au ralentissement des activités d’exploitation pour des raisons évidentes, liées à la réduction des ressources. C’est ce qui explique que nous n’avons pas résisté, du moins non sans grande difficulté au premier choc pétrolier de 1985 qui entraîne une très forte dégradation des termes d’échange, jusqu’à 50% et qui va se poursuivre en rythme accentué jusqu’en 1989, et affecter durablement aussi bien les finances publiques que le niveau de bien être des ménages.
Une Vitalité économique qui offre de bonnes perspectives
Au dernier trimestre de l’année 1982, le Cameroun jouit d’une stabilité politique exceptionnelle et d’une gestion économique rassurante, ce qui lui vaudra d’ailleurs la notation de « Meilleur risque-pays d’Afrique » de la part de CFI (Communauté Financière Internationale).
En effet, d’une production pétrolière de 50 000 tonnes en 1977, le Cameroun est passé à 6 millions de tonnes en 1982. Cette embellie économique va toutefois être affadie par une annonce politique d’envergure, notamment la démission d’Ahmadou Ahidjo, président de la République du Cameroun depuis 24 ans.
Si l’annonce de cette décision avait cristallisé beaucoup de peur et d’inquiétudes du fait de la très forte et non moins redoutable personnalité qu’incarnait le président Ahidjo, les premières heures de transition vont annoncer de belles couleurs, le président Ahidjo a engagé tout son poids autoritaire pour renforcer celui de son successeur, ce qui aura le double effet de créer une symbiose entre le nouveau président de la République, Paul Biya et le peuple Camerounais, et un soutien sans faille de l’ensemble de l’appareil politique du parti unique UNC. Cette lune de miel sera malheureusement de très courte durée car, les verbes hauts, les décisions hâtives, les suspicions auront raison d’elle trop tôt et les multiples tentatives de réconciliation intra et extramuros n’y feront rien, c’est le début des grands chocs politiques dont les secousses multiformes vont sérieusement ébranler l’économie dans sa structure à moyen terme
Des secousses politiques qui annoncent des lendemains économiques inquiétants.
Le 22 août 1983, le président Paul Biya annonce la découverte d’un complot contre la sécurité de la République et ceci ne va pas être sans conséquence lourdes et fâcheuses, les hommes forts du régime proches d’Amadou Ahidjo sont limogés, notamment le premier ministre et le ministre de la défense et, le 27 Août de la même année l’ex président Ahidjo annonce sa démission de la présidence de L’UNC. Un congrès extraordinaire du parti est convoqué le 14 septembre au cours duquel le président Biya est élu à la tête du parti, et le 14 janvier de l’année suivante, 1984, une élection présidentielle est organisée par anticipation et le président Biya candidat unique est élu à 99’98%.
Toutes ces échauffourées qui marquent le landerneau politique Camerounais ne vont pas tarder à révéler les premières conséquences économiques et sociales. Sur plan interne, les commerçants vont par forte appréhension constituer des stock de marchandises, ce qui va créer une forte pénurie de certains produits de consommation auprès des ménages, et sur le plan international cela va susciter des inquiétudes et une relative perte de confiance dans les milieux d’affaires, mais sans toutefois entamer l’économie nationale dans sa structure réelle.
En 1983, l’économie Camerounaise est l’une des plus dynamiques d’Afrique subsaharienne et la plus performante d’Afrique Centrale avec un taux de croissance qui est à 7% en perspective positive , une inflation à 14.5% qui est faible comparée aux autres pays d’Afrique, une dette extérieure qui bien que croissante, reste maîtrisée, de 2,5 milliard de dollars en 1982 à 3,2 milliard de dollars en 1983, soit une oscillation de 8 à 12% des finances publiques. Les balances commerciales et de paiement sont légèrement déficitaires, mais ne prennent pas en compte la part de revenus de pétrole non déclarés, soit environ 1,2 millions de tonnes.
L’indicateur qui suscite inquiétudes est le service de la dette qui a connu une montée très forte, passant de 12% des recettes d’exportations en 1979 à 22% en 1983. Certes ceci trouvait une explication dans la mauvaise santé des exportations des produits agricoles, notamment le cacao, le café et le coton liée aux mauvaises conditions climatiques.
Si l’onde de choc des conjonctures politiques des années 83-84 n’ont pas eu raison de la structure macro-économique de la nation, c’est en raison d’une vision économique globale prudente et équilibrée dont les piliers ont été jetés depuis les années 60. A la différence des autres pays d’Afrique qui pratiquent une économie d’échelle, basée sur un secteur unique et parfois dans une seule région, le Cameroun pratique une économie d’envergure, ce qui rend son tissu très diversifié, avec de nombreux pôles actifs de développement régional. Nonobstant la production du pétrole, l’agriculture constitue l’épine dorsale de la politique de développement du pays, avec pour principaux produits: Le cacao et le bois dans le Sud et l’Est, le café et le thé dans l’Ouest, la Banane dans le Littoral, le coton, l’arachide et l’élevage dans le septentrion.
La crise politique née des antagonismes profonds entre les deux hommes forts de l’époque, l’ex président Ahidjo et son successeur Paul Biya va finalement aboutir à un Putsch manqué le 6 avril 1984. Quelques 2000 mutins vont se lancer à l’assaut de la capitale Yaoundé, mais rapidement maîtrisés par le gros des troupes restés fidèles au régime Biya. Un congrès extraordinaire du parti unique UNC va être convoqué à Bamenda du 21 au 24 mars 1985, et à l’occasion L’UNC va devenir le RDPC, ce sera le dernier acte de liquidation politique de l’héritage Ahidjo.
Sur le plan économique les indicateurs sont au vert avec un taux de croissance à 6,5%, le budget adopté en juin 84 est équilibré en recettes et en dépenses à 620 milliards de francs CFA avec un budget de fonctionnement à 400 milliards et celui d’investissement à 220 milliards, malgré cette embellie apparente, quelques inquiétudes sont à signaler, notamment le taux d’inflation qui caracole à 20% l’an, le chômage qui a accru de 4% et une chute de l’activité industrielle de 9%, d’ailleurs le gouvernement dans un souci de relancer cette activité industrielle va promulguer le 4 juillet 84 un nouveau code d’investissement en remplacement de celui du 27 juin 1960. Ce nouveau code met particulièrement l’accent sur l’encouragement des investissements nationaux.
Il faut dire parlant d’investissement national que le président Ahidjo depuis le début des années 70 avait singulièrement mis un accent sur le renforcement de l’outil de production local par la création de plusieurs entreprises d’état dans différents secteurs, notamment agricoles, avec la SEMRI, la SODEBLE, MAISCAM, SODENKAM etc… Pour éviter la très forte dépendance des ressources budgétaires à la l’exploitation du pétrole comme d’ailleurs c’était à la mode dans beaucoup de pays africains à cette époque, et aussi réduire notre dépendance a l’importation pour équilibrer notre balance extérieur de paiement.
L’amorce d’un virage dangereux et mal négocié
Le premier virage se négocie très mal en 1985 avec le premier choc pétrolier dont la dégradation des termes d’échange va entraîner une perte sèche de 250 milliards de francs CFA. Pourtant la production a connu une nette amélioration en volume, 9,3 millions de tonnes, par rapport aux prévisions de 7,6 millions de tonnes. L’embellie se fait ressentir aussi sur le plan agricole avec la remontée des produits comme le cacao qui est passé à 120 000 tonnes contre 110 000 tonnes en 1984, le café qui est passé à 120 000 tonnes contre 65 000 tonnes en 84, le coton qui est passé à 100 000 tonnes contre 95 000 tonnes en 84, l’exportation de ces différents produits génère des excédents qui auraient dû être mis à profit pour le renforcement du tissu industriel et l’amélioration de la capacité de transformation locale.
Il y a eu comme un déficit criard de vision stratégique et une incapacité d’analyse fine pour mieux comprendre les enjeux, et entrevoir la nécessité de changer de paradigmes pour s’arrimer à la nouvelle donne dictée par la conjoncture internationale. Au lieu de cela, les mêmes vielles recettes avec le même logiciel ont continué d’être appliquées. Déjà il faut souligner qu’à partir de 85, l’économie Camerounaise navigue à vue, pas de planification stratégique, le dernier plan quinquennal remonte à 1980 et s’achève en 1985. A cela il faut ajouter la forte inclination à la gabegie, la corruption qui devient rampante et les détournements de deniers publics qui s’érigent en mode de fonctionnement dans la fonction publique, des comportements totalement aux antipodes des valeurs idéologiques prônées par le président Biya lors de son accession à la magistrature suprême, basées sur le socle de Rigueur et Moralisation de la vie publique.
Les premières conséquences ne vont pas tarder avec les fermetures des premières sociétés d’état, à l’instar de la SODENKAM ,et la BIAO en 1987, avec pour corollaires les compressions massives de personnels qui viennent gonfler le taux de chômage et dégrader un peu plus le tissu et le climat social déjà très tendu.
En 1988 les indicateurs sont vraiment oranges et s’approchent dangereusement du rouge. Le président Paul Biya dans un souci de renforcer l’équipe en charge de l’économie du gouvernement, relancer la production industrielle et redresser la situation financière et éviter le recours au FMI dont il ne voulait pas entendre parler, procède à un remaniement le 16 mai, et se débarrasse de plusieurs hommes réputés forts de son régime.
La visite à Yaoundé de Helmut Kohl, chancelier Ouest Allemand, le 15 novembre 87 permet au Cameroun de mettre dans sa gibecière outre la France, un autre Bailleur de poids, l’Allemagne. Ceux-ci apportent leur soutien au plan d’austérité mis en place depuis juin 87 et dont les principales mesures s’articulent autour de la réduction drastique des dépenses de l’état, suite à une baisse des exportations d’environ 300 milliards de francs CFA ayant entraîné une dette intérieure d’environ 150 milliards de francs CFA.
Même si les productions de cacao et café augmentent en volume, la dégradation des cours reste un réel souci, et le budget du Cameroun qui entre 86 et 87 était passé à 800 milliards de francs CFA est retombé à 650 milliards de francs CFA. Les milieux universitaires commencent à payer les frais de l’austérité avec le non-paiement des bourses aux étudiants, ci qui va provoquer les échauffourées entre étudiants et policiers précisément le 17 décembre 1987.
La spirale infernale des Plans d’Ajustement Structurel.
Malgré la cure d’austérité imposée à l’état se traduisant par la vente des véhicules administratifs, les restrictions imposées sur l’usage du téléphone, le toilettage du fichier solde de l’état, avec l’opération antilopes pour débusquer les fonctionnaires fictifs de l’état, le plan de redressement des sociétés publiques et parapubliques, les choses ne s’améliorent pas, le budget de 88- 89 tombe encore à 600 milliards au lieu de 650 lors de l’exercice précédent, et ce que le président Paul Biya redoutait le plus va finalement arriver: Le 19 septembre 1988 le Cameroun signe un accord de confirmation et l’octroi d’un prêt de 150,7 millions de dollars avec le FMI, c’est le début du fameux plan d’ajustement structurel dans lequel va sombrer l’économie du Cameroun jusqu’au fameux point d’achèvement en 2006.
Le premier plan d’ajustement structurel est mal géré, et un second est approuvé sous l’égide de la France qui verse 600 millions de FF en décembre 1991, et en janvier 1992 la dette publique du Cameroun est rééchelonné par le club de Paris, mais toutes ces mesures vont s’avérer insuffisantes et ne constitueront pas la bouffée d’oxygène nécessaire pour booster une économie laminée par les villes mortes, les débrayages, les baisses de production aussi bien pétrolière qu’agricole.
C’est dans cette atmosphère d’extrême morosité, caractérisée par le déficit financier qui se creuse, le ralentissement de l’activité économique, la dette intérieur qui s’alourdit, les produits de base, café cacao, coton qui ne s’exportent plus bon marché que va intervenir tel un coup d’assommoir, la d’évaluation du franc CFA en janvier 1994, c’est la catastrophe : Baisse des salaires de 20 à 50%, compressions massives de personnels, fermeture des entreprises publiques et privées, privatisation toutes azimuts, augmentation des droits universitaires, suppression des bourses aux étudiants, grèves des universités, débrayages dans la fonction publique, bref c’est la chronique d’une tragédie économique annoncée.
Une légère reprise va s’opérer en 1996 avec un taux de croissance à 5%, un taux d’inflation contenue à 4,8% d’autre part l’état poursuit avec sa cure d’austérité sous la pression des bailleurs de fonds multilatéraux, notamment la FMI et la Banque Mondiale qui tiennent depuis 1988 les manettes de notre économie , 13 000 fonctionnaires sont licenciés entre 94 et 97. Les effets induits de la dévaluation sur les cours des matières premières ont entraîné de légères hausses, mais les résultats sont noyés par le poids d’une dette extérieure évalués 9,35 millions de dollars au dernier trimestre 1996. Les relations avec le FMI et la BANQUE MONDIALE se corsent un peu du fait du non atteint des objectifs conclus lors du 4ème programme d’ajustement structurel de septembre 1995. Les réformes structurelles annoncées n’ont pas été implémentées et les finances publiques ne s’améliorent pas toujours.
Le Cameroun rejoint la liste des Pays Pauvres et Très Endettés (PPTE)
C’est dans ces balbutiements que le Cameroun se verra contraint de s’inscrire en 1996 dans le programme dit des pays pauvres et très endettés (programme PPTE), lequel est à l’origine conçu pour réduire la dette de certains pays tout en leur permettant d’utiliser le service de la dette à des fins d’investissement pour la relance et la restructuration de leur économie. Le Cameroun atteindra comme 15ème pays le point d’achèvement dix ans après et signera le document d’approbation PPTE le 1er mai 2006, pour une réduction de sa dette d’environ 1,27 milliards de Dollars en VAN (Valeur Actuelle Nette), soit une valeur de 27% de réduction de sa dette en VAN.
Malheureusement, le Cameroun ne mettra pas cette manne financière à profit pour investir massivement dans les secteurs productifs et renforcer son outil de production locale et réduire sa très forte dépendance à l’importation, chose qui rend sa balance extérieur de paiement structurellement déficitaire. Une fois de plus, le manque de vision stratégique, l’absence de planification stratégique avec des objectifs sectoriels chiffrés, adossés à un chronogramme précis va à nouveau conduire le pays à l’impasse. Puisque d’ailleurs 10 ans seulement après, en 2016 le Cameroun rentre à nouveau sous un programme d’ajustement structurel du FMI avec la même équipe dirigeante.
Un document dit de stratégie pour la croissance et l’emploi, DSCE a été conçu en 2010 pour une période de planification de 10 ans, force est de constater au terme de sa maturation en 2020 que la courbe du chômage côtoie l’asymptote près de 45% de taux de chômage majoritairement de la population jeune, 75 à 80% de sous emplois, et la croissance n’est pas au rendez-vous, entre 3 à 4% en perspective négative.
L’analyse profonde de l’évolution de la courbe économique camerounaise , à partir des années 80 montre très clairement que le pays n’a pas su profiter de l’extraordinaire surcroît de richesse émanant du développement des exportations de pétrole pour créer les conditions d’une autre source de croissance pour le jour où, soit les termes de l’échange, soit l’exploitation des gisements pétroliers deviendraient moins favorables. Ainsi, aucune création nouvelle de richesse n’a pu amortir la baisse, certes forte, des termes de l’échange depuis 1985, mais qui a connu une forte embellie entre 2005 et 2013, le baril a atteint les 120 dollars a la faveur de multiples guerres dans le proche et moyen orient. Les cours ont à nouveau replongé du fait du développement des marchés parallèles ou marchés noirs depuis 2014 et se poursuivent à rythme accentué.
Aussi, même sans nouvelle dégradation des termes de l’échange, la réduction des ressources exportables du Cameroun devrait conduire à une situation très dégradée à l’horizon 2025, tant des Finances Publiques que du niveau de bien être des ménages, apprécié par leur consommation par tête ; celle-ci reviendrait, en effet, à son niveau de la fin des années 90.
Il semble que le Cameroun paye aujourd’hui, et peut-être pour longtemps encore, une politique budgétaire trop expansive au regard de l’origine de ses recettes ; si une partie pouvait sembler durable parce qu’assise sur le développement de volumes produits, une partie reposait sur des prix et des taux de change par essence beaucoup plus volatils. De plus, le fort courant d’investissement public n’a pas généré de base productive susceptible de compléter ou de prendre le relais de la production pétrolière.
Ainsi, les productions de cultures de rente restent peu dynamiques, l’âge moyen des plantations est élevé, ce qui laisse peu de perspective favorable d’exportation à un moment où les mesures d’ajustement conduisent à baisser fortement les prix au producteur.
La base industrielle et les exportations de produits vivriers restent peu développées. Ces deux postes ont certes subi depuis des décennies les effets de la forte dépréciation du naïra mais il semble, au vu d’une analyse des échanges frontaliers, que la structure de production du Nigéria reste suffisamment peu agricole pour qu’il subsiste des opportunités de produire pour ce marché, malgré un taux de change aujourd’hui moins favorable.
Le Cameroun devrait repenser son modèle économique tout simplement. S’appuyer sur un véritable document stratégique de planification et définir des objectifs sectoriels chiffrés à court, à moyen et à long terme. Mettre en place une veille stratégique prospective pour pallier aux multiples conjonctures qui ébranlent sa structure macroéconomiques de manier itérative.