Dans les sphères plutôt pro-russes sur les réseaux sociaux l’élargissement du groupe formé par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud (désigné par l’acronyme Brics), est perçu comme un événement qui va « ridiculiser » le G7.
Une lecture rapide qui ne permet pas de comprendre les intérêts d’un éventuel élargissement et les divergences entre ce groupe des cinq, que ce soit sur la question même de l’élargissement ou de la guerre en Ukraine.
Ridicule, le G7 ? La demande d’adhésion d’une vingtaine de pays au groupe des Brics (pour Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a suscité un certain nombre de commentaires sur les réseaux sociaux, notamment chez les pro-russes. « Le G7 [forum qui réunit Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon] devient ridicule », affirme un compte pro-russe, reprenant l’information. « Le G7 qui pense dominer le monde va devenir si ridicule », commente aussi Silvano Trotta.
Illusions économistes
Mais cette lecture rapide et un peu simple ne permet pas de comprendre les intérêts d’un éventuel élargissement et les divergences entre les pays, que ce soit sur la question même de cet élargissement, de la guerre en Ukraine, ou de l’approvisionnement en énergie. Deux économistes nous éclairent sur ces enjeux.
Une vague de candidatures inédite
Alors que le sommet des Brics doit se tenir les 2 et 3 juin 2023 au Cap en Afrique du Sud, 19 pays ont montré leur intérêt pour adhérer au groupe. L’ambassadeur sud-africain au sein des Brics, Anil Sooklal a indiqué, lors d’un entretien à Bloomberg, le 24 avril, que « treize pays ont présenté des demandes officielles d’adhésion au groupe des Brics, et six autres l’ont fait de manière informelle ». Créée en 2009, cette alliance s’oppose à la domination du dollar dans le monde économique et financier. Elle conteste aussi la répartition des droits de vote dans les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale), qui ne reconnaissent pas à leur hauteur la puissance économique de pays comme la Chine ou l’Inde. Une telle vague de candidatures est inédite : depuis la création du groupe, seule la candidature de l’Afrique du Sud a été retenue en 2011. Le Mexique, par exemple, candidate à nouveau, après que sa demande a été rejetée en 2013.
« Une question d’image »
En réalité, la discussion sur d’éventuelles adhésions a été engagée en mai 2022 lors d’une conférence sur les modalités de cette expansion, à laquelle ont, par exemple, participé l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Indonésie, le Kazakhstan, le Nigeria, le Sénégal, la Thaïlande. Si les pays intéressés ne sont pas tous connus, l’Algérie, l’Argentine, l’Iran ont fait connaître leur candidature, indique Julien Vercueil, professeur des universités à l’Inalco, spécialisé sur l’économie russe. La Turquie et l’Arabie saoudite ont aussi montré leur intérêt selon Purnima Anand, le président actuel du forum.
« L’important pour les membres actuels des Brics est de montrer que ce forum, loin d’être la coquille vide comme on l’entend souvent, exerce un pouvoir d’attraction sur d’autres pays du Sud, ajoute l’auteur des Pays émergents. Brésil Russie Inde Chine. Mutations économiques, crises et nouveaux défis (Breal, 2015). Cette question d’image est particulièrement importante pour la Russie, qui cherche par tous les moyens à compenser l’isolement que sa guerre d’invasion contre l’Ukraine lui a valu, via les sanctions, principalement de la part des pays occidentaux. »
Le poids économique écrasant de la Chine
C’est le début d’un processus d’élargissement, qui peut être long et où plusieurs scénarios peuvent être envisagés, commente-t-il. Si les cinq pays représentent environ 41 % de la population mondiale, 24 % du PIB mondial et 16 % du commerce mondial, cela ne garantit pas la cohérence interne du groupe, comme entre l’Inde et la Chine qui sont des rivaux historiques. New Delhi s’oppose d’ailleurs à cet élargissement et prône plutôt un dialogue, au contraire de Pékin pour qui cela renforcerait sa stratégie des nouvelles routes de la soie. Dans cette équation, il faut prendre en compte le fait que, de par son poids économique écrasant dans le groupe, la Chine est l’acteur central des Brics, le pays qui donne le « la ».
« Des pays potentiellement non alignés »
La guerre en Ukraine en est l’illustration. Depuis le début du conflit, il y a un alignement au sein du groupe des Brics entre le Brésil, qui veut rassembler le camp de la paix, et la Chine. Les deux pays veulent se positionner en médiateur, en pays qui ne seraient pas impliqués d’une manière ou d’une autre dans la guerre.