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La Note : Erosion des médecins Africains

Le gouvernement Français prévoit de créer une carte de séjour destinée aux professions médicales afin de faciliter l’installation de médecins étrangers en France et d’améliorer son « attractivité ». Au risque d’aggraver l’hémorragie dans des pays aux systèmes de santé déjà fragiles.

Le docteur Mamadou Demba Ndour prévient : il sera peut-être obligé d’interrompre la conversation. Ce médecin sénégalais est le seul gynécologue-obstétricien de l’hôpital régional de Matam, situé à 600 kilomètres de Dakar. Avec plus de 1 000 accouchements par an, son téléphone peut sonner jour et nuit. Et sa situation n’a rien d’exceptionnel. « Dès qu’on s’éloigne des villes principales, on trouve des régions entières où les besoins en matière de personnel de santé ne sont pas pourvus ». affirme le spécialiste, également secrétaire général du Syndicat autonome des médecins sénégalais (Sames).

Faibles rémunérations, charge de travail énorme, plateau technique « à des années-lumière de ce qui se fait en Europe »… « Travailler dans un hôpital public au Sénégal est un sacerdoce, concède le quadragénaire. Les conditions de travail sont extrêmement difficiles. » Alors certains partent dans le privé. Et d’autres quittent le pays pour des cieux et des systèmes de santé plus cléments. « Beaucoup vont faire une spécialisation à l’étranger et ne rentrent pas », précise-t-il. L’absence de données empêche d’évaluer l’ampleur de cette émigration au Sénégal, mais on sait que, du fait des liens historiques hérités de la colonisation, la France fait partie des destinations privilégiées de ces professionnels. Mais le pays n’est pas un cas isolé.

Les médecins ayant fait leurs études en Afrique francophone représentent le deuxième contingent de médecins à diplômes étrangers (hors Union européenne) exerçant dans l’Hexagone, derrière ceux venus du Maghreb.  Si le phénomène n’est pas récent, le secrétaire général du Syndicat autonome des médecins du Sénégal (Sames) redoute que « la situation ne se tende encore plus ». En cause : le projet de loi sur l’immigration et l’intégration en France. Présenté le 1er février en Conseil des ministres, il prévoit la création d’une carte de séjour spécifique « talent-professions médicales et de la pharmacie ». 

Selon des chiffres de 2020 de l’Ocde, la France comptait un peu plus de 26 000 médecins formés dans des pays étrangers hors Union européenne, soit 11,5% des effectifs totaux. De son côté, le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) indiquait que le nombre de médecins à diplômes étrangers (hors UE) avait été multiplié par plus de trois entre 2007 et 2022. Le projet de loi transmis au Conseil d’État a vocation à faciliter les démarches administratives des personnels médicaux pour « améliorer l’attractivité » de la France. Il prévoit qu’un étranger, venu travailler un an ou plus dans un établissement de santé français, puisse se voir délivrer un titre de séjour valable pour un an, renouvelable pour une durée maximale de treize mois. Pour des pays comme la France, ces praticiens étrangers sont essentiels. Ils viennent pallier les défaillances du système de santé public. Anesthésistes-réanimateurs, gynécologues, urgentistes, généralistes…

Ils comblent les trous dans un hôpital public déserté par les médecins français faute de moyens. Car, de leur côté, ces praticiens à diplômes hors Union européenne (Padhue) exercent souvent pendant des années dans des conditions difficiles, avec des statuts précaires qui leur confèrent des rémunérations bien en deçà de celles de leurs collègues français. Même si elle a été un peu simplifiée par la réforme de 2020, la procédure d’autorisation d’exercice (Pae) prend en moyenne cinq à six ans. « Quand on commence, c’est la galère », témoigne Jad Zahnan. Originaire du Liban, il est cardiologue à l’hôpital de Poissy depuis quatre ans. Comme beaucoup, il est resté après son année de spécialisation. Il a d’abord eu un statut de « Faisant fonction d’interne » (Ffi), payé 1 400 euros net ; depuis un an, sa situation s’est un peu améliorée, il est « praticien associé ».

Le spécialiste espère que son autorisation d’exercice sera enfin validée cette année, mais, malgré les difficultés, il ne regrette rien. Au-delà du salaire, ce qui fait l’attractivité de la France, c’est aussi le niveau scientifique et médical et les conditions de vie. «  Il faut bien sûr améliorer les conditions de travail des médecins qui sont déjà là, mais ce n’est pas une raison pour siphonner l’Afrique de ses médecins ». s’indigne Jean-Paul Vernant, professeur émérite d’hématologie, membre du comité des sages de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).Aux côtés de l’ancien président de Médecins sans frontières, Rony Brauman notamment, il est cosignataire d’une tribune parue début janvier dans le Journal du dimanche (Jdd) et intitulée «Ne privons pas l’Afrique de ses médecins ».

Il demande le retrait du projet. « On tente de régler le problème des déserts médicaux en France en créant des déserts médicaux en Afrique. Alors que la responsabilité des gouvernements depuis des années dans ces déserts est claire : c’est le numerus clausus. Il faut que l’on continue de former les gens plutôt que de les faire venir déjà formés pour les exploiter ». avance-t-il, fustigeant « une attitude néocoloniale ». « Ces mouvements sont très liés à l’actualité dans les pays d’origine. On a vu, par exemple, ces dernières années arriver beaucoup de Syriens. En ce moment, on remarque un afflux de praticiens tunisiens en raison de la crise que traverse le pays. » .« L’exode des médecins tunisiens est en train de s’aggraver de façon effroyable, témoigne Houmeina Hassani, présidente de l’Organisation tunisienne des jeunes médecins, on parle désormais d’hémorragie. » Le Conseil de l’ordre estimait que plus de 900 médecins avaient quitté la Tunisie en 2021, la plupart pour la France ou l’Allemagne. Avec environ 14 000 médecins actifs, le pays compte un médecin pour 1 000 habitants. Trois fois moins qu’en France, selon une étude de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.

Manque de moyens, infrastructures insuffisantes, augmentation des violences dans les hôpitaux… Le délabrement du système de santé local est tel qu’il est devenu « une menace pour la santé physique et mentale des jeunes médecins », explique la jeune femme, qui ne compte plus les histoires de burn-out, d’accidents, voire de suicides de soignants. « L’État tunisien ne propose rien pour encourager les jeunes à rester dans le pays, il essaie plutôt de nous retenir prisonniers », estime-t-elle, en référence à l’idée d’allonger le service civil, c’est-à-dire l’obligation pour les jeunes médecins d’exercer un an dans les régions les moins bien dotées du pays, le tout pour un salaire de misère (750 dinars, soit 250 euros). 

« On n’arrêtera pas la mer avec les bras ! », souligne Mamadou Demba Ndour, pointant la responsabilité de l’État dans la situation sénégalaise : « Qu’est-ce qui fait que nos jeunes médecins partent même avant la fin de leurs études ? Il faut que tout le monde se mette autour de la table et qu’on aille au fond de la question. » Malgré l’usure, le gynécologue de Matam continue de tenir. « On envisage tous à un moment d’abandonner, mais le pays a besoin de nous, rappelle Mamadou Demba Ndour. Mais nous avons une mission. Si je lâche, dans une région qui a un taux de mortalité infantile très élevé, je sais que ce sont les populations qui vont en pâtir. »  

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