Le chef de gang le plus puissant d’Haïti a ordonné le silence et l’immobilité. Mais dans les rues assiégées de Port-au-Prince, l’ultimatum de Jimmy Cherisier, alias « Barbecue », se heurte à une réalité plus implacable que les balles: la faim.
À la tête du groupe armé « Viv Ansanm » (Vivre ensemble), Cherisier a sommé ce lundi dernier la population de rester calfeutrée pour éviter d’être prise dans les affrontements en cours avec les forces de sécurité haïtiennes. Son message, diffusé sur les réseaux sociaux, était sans appel : « À tous les syndicats de conducteurs, restez chez vous ! À tous les conducteurs de transports publics, restez chez vous ! »
L’Économie de la Survie
Pourtant, malgré la menace explicite, les images du terrain montrent une capitale qui tente de survivre. Transporteurs et vendeurs ont repris leurs activités mardi, défiant l’avertissement de « Barbecue ». Pour beaucoup, le choix est simple : risquer sa vie ou condamner sa famille à la misère.
> « Même s’ils ont émis une alerte nous interdisant de sortir, nous n’avons pas le choix. Celui qui nous a interdit de sortir ne nous donnera rien. C’est ce commerce qui nous fait vivre, nous sommes obligés de sortir pour nous défendre, » confie un vendeur d’eau de Port-au-Prince, forcé d’affronter le danger pour nourrir ses enfants.
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Un autre vendeur résume la tragédie économique :
Si le pays est bloqué, ce ne sera pas bon pour moi, car c’est dans la rue que je gagne ma vie
Le Prix Payé par les Enfants
Si l’ordre de Cherisier a bloqué écoles et entreprises, l’artisan local Bazile souligne que ce sont les plus jeunes qui subissent le contrecoup le plus terrible de cette insécurité chronique. Déjà traumatisés par des années de violence, les enfants sont exposés à une atmosphère de terreur normalisée.
Nous sommes en période scolaire, les enfants vont à l’école. Il n’est pas bon pour eux d’entendre ces nouvelles menaçantes. Les enfants s’habituent à ce genre de choses, ils se menacent avec des couteaux en jouant. Ce n’est pas bon pour eux s’alarme Bazile.
Escalade et Crise Humanitaire
L’avertissement du chef de gang intervient quelques jours seulement après une opération d’envergure menée par la Police nationale haïtienne et la Force anti-gangs contre le puissant gang des 400 Mawozo. Cette offensive a permis de neutraliser plusieurs membres et de saisir un arsenal, dont un fusil Barrett. Mais la violence ne fait que s’intensifier, propulsant Haïti dans une crise humanitaire sans précédent.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 1,4 million de personnes ont été déplacées de leurs foyers cette année en raison de la violence des gangs, un record historique. La capitale est devenue un champ de bataille où, depuis 2022, on estime que plus de 16 000 personnes ont perdu la vie, dont plus de 5 000 rien qu’en 2024.
Entre l’ultimatum du chef de gang et la survie économique, la population de Port-au-Prince est prise au piège. La rue est leur gagne-pain, mais aussi leur plus grand danger.