Le lundi 03 mai 2021, nous avons assisté stupéfaits aux évènements violents consécutifs au décès d’un prévenu à la prison de Foumbot. Ces mouvements d’humeur des populations ont conduit à la mort d’un autre citoyen, la destruction du palais de justice de Foumbot et la perte des dossiers judiciaires de plusieurs affaires passées et pendantes. Au moins 60 ans d’archives ont été ainsi perdus !
DYSFONCTIONNEMENTS DE L’INSTITUTION JUDICIAIRE ET MONTÉE DES INJUSTICES : L’URGENCE D’UNE REFONDATION DE L’ÉTAT !
1 – Bref aperçu des faits
Evènements que nous regrettons et qui sont condamnables à bien des égards.
Des dommages irréparables ont été commis et certainement, l’avenir immédiat sera très compliqué pour bien des justiciables dans cette partie du pays.
Ces mouvements d’humeur s’expliqueraient par le refus constant du Procureur de la République de Foumbot de permettre au prévenu aujourd’hui décédé de se rendre à Yaoundé pour se faire soigner auprès d’un médecin traitant qui le suit depuis des années.
Ceci, malgré les garanties apportées par les proches, le dossier médical fourni par le médecin et l’absence d’un dispositif de santé capable de prendre en charge convenablement ce dernier au niveau local.
A titre de rappel et à toutes fins utiles, le prévenu aujourd’hui décédé aurait été arrêté et mis en détention pour vente illicite de médicaments dans la rue.
2 – Un énième incident révélateur d’un effondrement des institutions dans notre pays
Cette situation n’est pas isolée ni inédite.
C’est un épisode de plus dans le long continuum de drames que vivent les populations camerounaises au contact de l’institution judiciaire. Institution qui aujourd’hui, à l’image de la société camerounaise, s’effondre.
Elle s’effondre depuis de très longues années sous les coups répétés de la corruption à toutes les étapes et à tous les étages, du clientélisme, de l’arrogance des acteurs de la chaine judiciaire et de la violation constante des principes juridiques de base.
Depuis très longtemps, pour une partie significative de la population camerounaise, la justice au Cameroun n’est pas juste. Elle est le lieu de toutes sortes de trafics qui n’ont rien à voir avec la loi.
Elle est un des lieux par excellence où l’on a écarté la norme et normalisé les écarts.
Les magistrats comme les autres intervenants de la chaine judiciaire sont devenus des acteurs de la patrimonialisation des institutions publiques. Phénomène qui se traduit par une privatisation d’un autre genre du service public de justice avec l’instauration à ciel ouvert, sans crainte et en toute impunité, des pratiques de marchandages de toutes sortes. Ceci au détriment des justiciables en général, des justiciables les défavorisés et les moins nantis en particulier.
Dans le cas récent de Foumbot, du fait du non-respect du droit à la santé d’un détenu et d’autres applications douteuses de la procédure pénale, le pire est arrivé et a conduit à une explosion de la colère des populations.
3 – L’institution judiciaire est profondément malade dans notre pays
Dans le cas de Foumbot, en dehors d’une décision discutable de refus des soins de santé a un prévene, décison qui s’avèrera lourde de conséquences à posteriori, un certain nombre de problèmes sont à souligner :
✔️ Les conditions de détention inhumaines dans les cellules de commissariat, de gendarmerie et de prisons.
✔️L’absence de services de santé viables aussi bien dans les prisons que dans les villes.
✔ Un personnel du corps judiciaire et des prisons qui sont plongés dans toutes sortes de trafics et opérations mafieuses.
✔ L’arrogance de bon nombre de personnes en charge dans le système judiciaire en particulier, administratif en général.
Au delà du cas de Foumbot, c’est aussi un ensemble de problématiques structurelles qu’il nous faut remettre sur la table :
✔Le recrutement à l’Enam. Tant que vont prédominer le piston et l’argent dans ce processus, des personnes n’ayant ni la vocation ni l’éthique vont s’y retrouver dans des proportions significatives pour ne pas dire majoritaire. Peut – on raisonnablement s’attendre à un comportement excellent et éthique quand on n’a pas été sélectionné sur la base de l’éthique et de l’excellence ?
✔ La formation et la socialisation des magistrats. Tant que l’on va avoir des personnes dont l’état d’esprit est dominé par l’idée qu’elles sont supérieures aux populations, la notion de service public aura du mal à se manifester de manière conforme aux besoins et attentes du peuple. Plus grave, en plus de se croire supérieur aux usagers ordinaires, nombreux sont ceux et celles qui se croient au – dessus des lois qu’ils / elles sont censées faire appliquer.
✔Les nominations et les promotions au sein des différents corps intervenants dans la chaine judiciaire. En effet, quand on achète des postes et que l’on nomme les moins méritants, on aboutit à une inefficacité structurelle et la promotion d’une économie de rente au sein de l’institution judiciaire.
✔La corruption systémique de la majorité des intervenants de la chaine judiciaire. Dans notre pays, au vu et au su de tout le monde, chaque jour, on assiste à des pratiques de marchandage. Les policiers, magistrats, avocats, gardiens de prison sont des hommes et femmes d’affaires qui ont transformés leurs fonctions en comptoirs.
✔Le manque de moyens pour faire le travail correctement. Aussi bien au niveau des forces de l’ordre, des magistrats que des gardiens de prison, on observe un manque criard de moyens pour faire correctement leur travail. C’est parfois si criard que dans bien des situations, les acteurs de cette corruption estiment simplement participer, à leur manière, à une forme de régulation sociale qui empêche le pire d’arriver. On devrait à leur avis les remercier pour cette fonction « utile » de la corruption !
✔La charge de travail énorme des magistrats. Cette charge de travail est une des raisons explicatives des lenteurs judiciaires et énormes injustices que vives de nombreux justiciables depuis des années dans notre pays.
Mais tout ce qui est décrit ci – dessus ne serait possible si :
✔L’institution judiciaire n’était pas mise sous le boisseau par le pouvoir exécutif détenu par un Président qui concentre tous les pouvoirs.
✔Les institutions telles que le Conseil Supérieur de la Magistrature fonctionnait régulièrement et véritablement.
✔L’élite politique et administrative n’était pas majoritairement constituée par les mécanismes de la cooptation ethnique, familiale, politicienne,…,au détriment de l’éthique et de l’excellence.
✔Le leadership corrompu de notre pays n’avait pas fait sécession avec la population en ayant des intérêts divergents des ces dernières.
4 – Quelles enseignements tirer de ce énième drame ?
Des drames comme ceux survenus à Foumbot ne doivent pas être passés simplement en pertes et profits.
Dans un pays où les dirigeants ont le souçi du progrès, de l’harmonie sociale et du bien – être des populations, on s’empresserait de tirer des leçons.
Mais il est quasiment illusoire d’attendre quoi que ce soit du régime actuel. Ceci, pour des raisons simples :
▶Le leadership du pays est parfaitement au courant de toutes ces situations. A la limite, dans des bien des cas, il y participe activement.
▶La révolte des avocats anglophones n’a pas entrainé de profondes réformes et de profonds changements dans les pratiques.
▶La révolte des avocats n’a jusqu’ici pas entrainé des changements significatifs dans les pratiques.
▶L’actuel ministre de la justice estime globalement que le Cameroun peut être fier de sa justice. L’entendement, l’expérience et les cris de désespoir des justiciables ordinaires au quotidien ne constituent pas des éléments pertinents selon lui pour apprécier le système de justice. Ce qui explique qu’après trois ans sans siéger, les dernières assises du Conseil Supérieur de la Magistrature n’ont pas estimé qu’il y avait lieu de toiletter ce corps de magistrats corrompus ou coupables de graves manquements.
▶ Les Etats généraux de la Justice ne sont pas à l’ordre du jour. Même s’ils l’étaient, que peut – on attendre d’un Gouvernement incapable d’appliquer le quart des résolutions issues des Etats généraux de l’Education et de la Communication ? Ce qu’ils ont été incapables de faire hier, peuvent – ils le faire aujourd’hui ?
A notre avis, nous pensons sincèrement que les crises, les conflits et les tensions que connaissent de plus en plus notre pays sont la conséquence de nombreuses et graves injustices.
Ces nombreuses et graves injustices sont causées par un régime dont le leadership et le système de gouvernance sont de plus en plus incompatibles avec les besoins et intérêts fondamentaux des populations du Cameroun.
Il y a urgence d’une refondation. Pas seulement la refondation de l’institution judiciaire mais la refondation de l’État du Cameroun.
Si nous voulons d’une Justice Juste, agissons pour une transition politique qui nous débarrasse de ce régime antipopulaire et met en place les bases consensuelles d’un État juste et au service des populations.