« Notre respect pour la souveraineté des États africains, leurs traditions et leurs valeurs, leur désir de déterminer de manière indépendante leur propre destin et de construire librement des relations avec leurs partenaires reste inchangé », a écrit M. Poutine dans une déclaration publiée en juillet de cette année à l’occasion du sommet Russie-Afrique, qui a réuni plusieurs dirigeants à Saint-Pétersbourg. Pour le chercheur nigérian Ebenezer Obadare, du groupe de réflexion Council on Foreign Relations (CFR), la lutte de pouvoir entre la Russie et l’Occident en Afrique est un nouveau chapitre de la rivalité entre ces deux pôles de puissance, qui s’est intensifiée surtout l’année dernière à la suite de l’invasion de l’Ukraine. « Ce que la Russie veut en Afrique, c’est ce que les pays occidentaux veulent aussi : influence diplomatique, influence sur l’économie et la politique, projection de leur pouvoir et de leur influence », explique-t-il.
Il n’y a pas d’intentions altruistes, seulement des intentions politiques. Les actions des deux parties se traduisent principalement par l’envoi d’aide et de présence militaire et par des investissements économiques, mais aussi par de la propagande et de l’influence culturelle. Selon des documents obtenus par The Intercept, en 2019, les États-Unis disposaient de 29 bases situées dans 15 pays ou territoires du continent africain. Une autre force très présente est la France. Le pays européen, qui a colonisé par le passé les territoires où se trouvent aujourd’hui l’Algérie, le Sénégal, le Tchad, le Mali, le Bénin, le Soudan, le Gabon, la Tunisie, le Nig,er, le Congo, le Cameroun et la Côte d’Ivoire, maintien des bases à Djibouti, au Gabon, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Les troupes britanniques sont également présentes dans des pays tels que Djibouti, le Malawi, le Nigeria, la Sierra Leone, la Somalie et le Kenya. Dans ce dernier pays, le gouvernement britannique entretient un centre d’entraînement permanent où des exercices militaires sont organisés chaque année.
« Dans le cas particulier des États-Unis et de la France, la lutte contre le terrorisme et l’insurrection islamique suscite un grand intérêt. Ils participent aux efforts de formation, de soutien matériel et moral des militaires dans différents pays africains », explique Ebenezer Obadare. L’opération Barkhane a été l’une des dernières grandes opérations anti-insurrectionnelles menées par la France sur le continent. Elle couvrait toute la région du Sahel, mais a été suspendue après le coup d’État militaire de mai 2021 au Mali, lorsque le président intérimaire Bah Ndaw et le Premier ministre Moctar Ouane ont été arrêtés et destitués. Depuis, la junte au pouvoir se rapproche de plus en plus des mercenaires du groupe Wagner. Le groupe russe compterait aujourd’hui un millier de soldats dans le pays, bien que l’armée nie leur présence.
Evgeny Prigozhin dirigeait Wagner, un groupe utilisé par Poutine dans la guerre en Ukraine et qui a une forte présence en Afrique. C’est au Sahel que la lutte d’influence s’est manifestée de la manière la plus tendue. Cette région de neuf pays traverse une longue période d’instabilité et de violence, mais elle est aussi attirée par ses richesses naturelles.La prolifération des organisations terroristes et autres groupes armés non étatiques s’ajoute aux crises politiques successives qui ont éclaté dans cette vaste bande aride au sud du Sahara, qui s’étend de l’océan Atlantique à l’ouest à la mer Rouge à l’est. Outre les coups d’État au Mali et au Niger, les militaires ont pris le pouvoir dans des circonstances similaires entre 2021 et 2022 au Burkina Faso, au Tchad et en Guinée (qui ne fait pas techniquement partie du Sahel, mais qui a des frontières avec le Mali et le Sénégal).L’ingérence des puissances occidentales et plus récemment de la Russie dans ces conflits a été constante.
Les circonstances de plus en plus complexes incarnées par des défis tels que la crise climatique, la pauvreté et l’insécurité alimentaire font également de la région un centre d’intérêt pour l’intervention internationale. Selon les analystes, l’abondance des ressources naturelles telles que le pétrole et les minerais constitue toutefois un point important. Bien qu’il ne soit pas aussi important que dans d’autres parties de l’Afrique, le Sahel possède de précieux gisements d’uranium, de calcaire et de phosphate. Moscou, en revanche, considère la Guinée deuxième producteur mondial de bauxite et propriétaire de riches réserves de minerai de fer, d’or et de diamants comme une destination stratégique pour les investissements. La Russie développe également ses politiques en termes de contrôle des sources d’énergie, telles que le pétrole et l’énergie nucléaire, dans le monde entier.
Toutes ces préoccupations économiques, ajoutées à la géopolitique, font de l’Afrique l’une des priorités de la Russie à l’heure actuelle », explique-t-il. La politique étrangère russe, publiée en mars de cette année, qui, pour la première fois depuis de nombreuses années, met l’accent sur la coopération avec l’Afrique. Dans son discours au sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg, M. Poutine a également réaffirmé sa promesse de maintenir un approvisionnement stable en céréales et autres produits agricoles sur le continent, après s’être retiré d’un accord autorisant les livraisons de céréales en provenance d’Ukraine.
Le retrait de Moscou de l’initiative sur les céréales de la mer Noire a alimenté les craintes d’une crise alimentaire mondiale. Le président a toutefois assuré que le Burkina Faso, le Zimbabwe, le Mali, la Somalie, l’Érythrée et la République centrafricaine recevraient chacun entre 25 000 et 50 000 tonnes de céréales russes au cours des trois à quatre prochains mois. Mais au milieu des démonstrations d’amitié et de soutien aux pays de la région, il y a des accusations constantes entre Moscou et l’Occident sur les tentatives d’ingérence en Afrique. Washington, en particulier, utilise de plus en plus ses ressources diplomatiques pour souligner l’existence de campagnes russes visant à « saper la démocratie » sur le continent.