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La citoyenneté : un principe régulateur et intégrateur

Le lien citoyen est une force de régulation sociale pour contrebalancer les tendances différentialistes et inégalitaires qui marquent les deux autres types de liens sociaux qui ont des effets centrifuges parallèlement à leur force intégratrice (centripète).

C’est évident pour les liens marchands dont l’intensité est proportionnelle à la capacité de création de valeur monétaire des producteurs et au pouvoir d’achat des consommateurs « Dis-moi combien tu gagnes, je te dirai qui tu es! ». Mais c’est aussi vrai en partie pour les liens communautaires : les communautés ethno-culturelles incluent certes leurs membres à l’intérieur, mais en même les séparent des autres et les pratiques catégorielles ou ethnicistes rendent plus difficile le rassemblement de tous autour d’un bien commun.

On a déjà vu comment la citoyenneté apparait comme un principe d’inclusion des nations démocratiques qui intègrent alors, dans la même unité politique, l’ensemble des individus, en dépit et au-delà de leurs différences d’ethnie, de religion, de profession, d’âge ou de région, réunis dans une même « communauté de citoyens », libres et égaux, à horizon universaliste. Cela crée une « communauté imaginée » de semblables, c’est une « utopie créatrice » (D.Schnapper) capable alors de transcender les intérêts particuliers et les identités spécifiques qui se développent avec la « division du travail social » (E.Durkheim) dans les sociétés complexes, dont la « solidarité organique » demeure problématique.

Plus précisément, comme l’a bien montré Serge Berstein dans son histoire des « démocraties libérales », c’est cette appartenance citoyenne qui pousse les uns (les plus démunis ) à demander à bénéficier de meilleurs droits effectifs et incite les pouvoirs politiques (à légitimité démocratique ) à les prendre en considération et à en faire accepter les efforts nécessaires aux autres (les mieux lotis) pour les mettre en oeuvre. Par exemple, c’est au nom de la solidarité nationale qu’en 1988 a été votée la loi instituant le revenu minimum d’insertion (RMI) pour les plus défavorisés dont le financement était politiquement assuré par l’ISF (l’impôt de solidarité sur la fortune) demandé aux plus favorisés.

On voit ainsi comment la citoyenneté démocratique permet de réguler les inégalités et conflits internes générés inévitablement par l’ordre économique, d’autant plus qu’on est dans un régime de libéralisme économique régulé d’abord par les forces du marché. Pour Serge Berstein, c’est cette synthèse réalisée entre l’ordre libéral (primat des libertés individuelles, politiques et économiques ) et l’ordre démocratique (l’égalité citoyenne et le suffrage universel) au XXème siècle avec le développement d’un Etat-Providence à côté des marchés ( ce que les Allemands ont appelé l’ « Economie sociale de marché » qui fait la force des « démocraties libérales » occidentales et leur ont permis de traverser jusqu’ici les épreuves des grandes crises ou de la seconde guerre mondiale (Pierre Rosanvallon rapelle d’ailleurs comment, en 1945, c’est la forte solidarité vécue par l’épreuve de la guerre qui a permis l’accord sur l’organisation de la Sécurité Sociale en France) .

Pourtant, le défi est aujourd’hui à nouveau à relever avec le creusement des inégalités qui accompage la mondialisation de l’économie et les politiques néo-libérales, avec les forces centifuges que cela engendre : R. Reich parle dans son livre, « l’économie mondialisée », du désir de « sécession sociale des riches » aux Etats-Unis alors que la pauvreté dissuade les « laissés pour compte » de vouloir participer activement et loyalement à la société (replis ethnicistes et délinquance dans les ghettos).

Mais le défi n’est pas seulement socio-économique, il est aussi socio-culturel, à travers le développement irrépressible des différences d’identités culturelles. La mondialisation des médias, de l’économie et des flux migratoires ne peuvent que favoriser, directement ou par réaction, l’affirmation d’identités diverses, transnationales (par exemple, les rappeurs des banlieues françaises s’identifient largement à leur « grands frères » des ghettos américains) ou de repli sur de petites « tribus » émotionnelles (M.Mafessoli). Dès lors se posera avec de plus en plus d’acuité la question qui fait le titre du livre d’ A. Touraine « Pourrons-nous vivre ensemble ? ». La solution est donnée par le sous-titre : « égaux et différents ».C’est en effet ici une nouvelle dimension du combat démocratique qui se joue: la démocratie culturelle, permettant à chacun d’être reconnu dans sa différence d’identité, cette revendication du droit à la différence devant naturellement se doubler de sa contrepartie, qui est de reconnaître celle de l’autre, dans une réciprocité égalitaire.

Enfin, d’autres défis, d’ordre environnemental, paraissent devoir exiger des réponses en termes de citoyenneté, mais dans un cadre renouvelé à dimension mondiale, par-delà les Etats-nations. En effet, les problèmes globaux d’environnement (comme les rejets de CO2 et le réchauffement de la planète) se moquent des frontières nationales et mettent en cause ce que l’on considère aujourd’hui comme le « patrimoine commun de l’humanité » ainsi que ne cessent de le proclamer un certain nombre de « citoyens du monde » (comme Greenpeace) et comme le reconnaissent les économistes qui commencent à raisonner en termes de Développement Durable. Cela nécessite et légitime un certain nombre de réglementations publiques internationales protectrices ainsi que des transferts financiers Nord-Sud pour aider les pays pauvres à la préservation de ces ressources naturelles communes.

De même, ce nouvel espace d’action citoyenne, international, touche aussi les Droits de l’Homme revendiqués comme devant être réellement universels par des organisations non gouvernementales (ONG) qui s’affirment « citoyennes du monde » (comme Amnesty International ou Médecins du Monde). A ce titre, elles ont milité et contribué à la création d’un nouveau « droit d’ingérence » pour raison humanitaire sous contrôle de la communauté internationale (ONU), ainsi qu’à l’émergence d’une justice pénale internationale (Tribunal Pénal International habilité à juger les crimes contre l’humanité ou de génocide quand les justices nationales s’avèrent défaillantes). On mesure ainsi combien la citoyenneté reste une question vive du monde actuel, un principe régulateur à réaffirmer mais aussi à enrichir et à adapter aux nouveaux contextes. Il est donc tout aussi nécessaire d’en développer l’apprentissage chez les individus si on veut qu’il oriente leurs conduites futures, ce qui est précisément le rôle des instances de socialisation.

Redigé par:

Epiphanie Gueyop

Source:

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