Cette semaine, Le monde en questions se demande si le conflit entre Israël et le Hamas peut être qualifié, au-delà de son aspect local, de manifestation d’un affrontement entre deux types de conceptions morales, identitaires et religieuses. Et la question est la suivante : avec ce conflit, sommes-nous en train d’assister, comme l’affirment certains commentaires, à un nouvel épisode d’une « guerre de civilisations » entre l’Occident et ce qu’on appelle aujourd’hui « le Sud global » ? La réponse à cette question n’est pas évidente. Pour certains, le constat est clair : avec le conflit entre Israël et le Hamas, nous sommes bel et bien dans une nouvelle manifestation de ce choc des civilisations, théorisé il y a 26 ans par l’historien américain Samuel Huntington.
Pour faire court, sa thèse est la suivante : après l’effondrement de l’URSS en 1991, ce sont aussi les grandes idéologies qui se sont évanouies. Le communisme, le socialisme, le capitalisme, le libéralisme, toutes ces écoles de pensées auraient cessé d’être pertinentes pour rendre compte des rapports de force dans le monde.
Après une période où l’on a pu croire à la toute-puissance des États-Unis, de nouvelles forces sont apparues, avec en particulier la montée en puissance de l’islamisme radical. Du coup, il ne s’agit plus d’une guerre idéologique, mais d’une guerre de civilisations qui repose sur l’adhésion ou le rejet d’un modèle culturel, économique, identitaire ou religieux. Comment cela se traduit-il concrètement ? Cela se manifeste par l’opposition grandissante et de plus en plus violente entre, d’une part, les pays occidentaux (États-Unis, Canada, Union européenne, Israël, Japon, Corée du Sud, Taïwan…) et d’autre part, de nouvelles puissances émergentes en Asie, au Proche-Orient, en Afrique et en Amérique latine. Puissances qui proposent des modèles alternatifs au modèle occidental (démocratie politique et libéralisme économique) ou qui sont critiques de ce modèle.
Quant aux organisations qui se réclament d’un islam intégriste, elles souhaitent carrément détruire ce monde occidental corrompu, arrogant et amoral. Cette grille de lecture peut sembler séduisante et contient indéniablement une part de vérité. Elle permet à certains acteurs de la scène internationale de lire sous ce prisme les grands événements de ces 20 dernières années : les attentats du World Trade Center, les attentats en France et en Europe dans les années 2010, le conflit syrien, et plus récemment la guerre en Ukraine et donc le conflit Israël – Hamas depuis les terribles exactions du 7 octobre 2023 et la réponse musclée d’Israël. Mais elle trouve aussi ses limites, car il s’agit d’une approche trop simpliste, trop binaire dans le monde d’aujourd’hui, très multipolaire.
Certes, de nombreux pays non-occidentaux partagent une forme d’envie ou de ressentiment vis-à-vis de l’Occident, et plus précisément des États-Unis. Mais les intérêts, les différents territoriaux, les liens économiques ou militaires rendent les choses bien plus complexes. En revanche, l’Occident, obligé de lutter contre des organisations extrémistes, doit apprendre à davantage prendre en compte ces nouveaux acteurs étatiques et à coopérer plutôt qu’à imposer.