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Edito: La leçon sénégalaise

Après quatre jours de bataille de chiffres entre le pouvoir et l’opposition, au Sénégal, la commission nationale de recensement des votes a finalement tranché, jeudi 4 août : en décrochant 82 sièges sur 165, le mouvement du président sénégalais, Macky Sall, a remporté de peu les élections législatives, mais il n’obtient pas la majorité absolue, à un député près. Une première dans l’histoire du pays depuis son indépendance, en 1960.

D’après les résultats provisoires officiels, proclamés au tribunal de Dakar, la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yakaar « unis pour le même espoir », perd 43 députés par rapport à la précédente législature. Une dégringolade qui n’a pas empêché Aminata Touré, la tête de liste nationale, de se féliciter d’une « victoire nette et sans bavure ». « Le fair-play, a-t-elle lancé, jeudi soir, au siège du parti, dans la capitale, voudrait que les autres reconnaissent leur défaite. »

Ce n’est manifestement pas leur intention. L’opposition, après avoir remporté de grandes mairies comme Dakar, Ziguinchor ou Thiès, lors des élections locales de janvier, continue sa percée. Selon les résultats provisoires, la coalition Yewwi Askan Wi « libérez le peuple », YAW, notamment animée par Ousmane Sonko, a obtenu 56 sièges, auxquels s’ajoutent les 24 députés de la coalition Wallu Sénégal, dirigée par l’ancien président Abdoulaye Wade. A elles deux, ces formations, qui ont fait alliance avant le scrutin, cumulent donc 80 députés, au coude-à-coude avec le pouvoir.

A l’issue du conseil des ministres qui s’est tenu mercredi, le président Macky Sall s’était, pour sa part, félicité du bon déroulement des élections « dans le calme, la sérénité et la transparence, sur l’étendue du territoire national ». Une ligne partagée par le président français, Emmanuel Macron, qui, avant même la proclamation des résultats, a tweeté « Merci au président Macky Sall pour notre appel hier » et adressé ses « félicitations au peuple sénégalais et à la démocratie sénégalaise pour l’esprit de calme et de responsabilité dans lequel se sont déroulées les élections législatives ».

La mission d’observateurs de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, qui a noté le caractère « paisible et transparent » du scrutin, a recommandé aux partis politiques de « s’abstenir de toute proclamation prématurée des résultats » et de « recourir aux voies de recours réglementaires en cas de contentieux. » La précampagne, elle, avait été marquée par de violentes manifestations qui avaient fait au moins trois morts en raison de l’invalidation par le Conseil constitutionnel d’une des listes de la coalition dirigée par Ousmane Sonko, contraint de renoncer à participer aux élections.

Evoquant des irrégularités et des fraudes, Déthié Fall, le mandataire national de YAW, a fait savoir, jeudi matin, que « tout résultat proclamé n’engagerait pas l’intercoalition Yewwi-Wallu ». La veille, Aïda Mbodj, une autre dirigeante de l’opposition, avait parlé de « bourrage d’urnes » et de « procès-verbaux préfabriqués et sans signature qu’ils [le pouvoir] ont créés eux-mêmes », dans des localités du nord du Sénégal, considérés comme des fiefs du président Sall.

Autant d’erreurs qui pourraient, selon M. Fall, affecter les résultats du scrutin proportionnel et donc la répartition des sièges parlementaires. Des requêtes ont déjà été introduites auprès du Conseil constitutionnel, qui a cinq jours pour statuer et annoncer les résultats définitifs du scrutin. « Cela reste une victoire pour nous, car le régime au pouvoir n’a pas de majorité parlementaire, c’est un fait inédit. L’opposition dans sa globalité est majoritaire », estime Cheikh Tidiane Youm, l’un des leaders de YAW, en incluant dans son décompte les résultats de trois petites coalitions qui ont chacune remporté un siège.

Ces dernières joueront le rôle d’arbitre dans la bataille pour la majorité parlementaire qui se dessine. Reste aussi à savoir si l’intercoalition Yewwi-Wallu va tenir sur le long terme. « Abdoulaye Wade, qui ferait tout pour son fils Karim exilé à Doha après avoir été condamné, en 2015, à six ans de prison pour enrichissement illicite, n’a pas encore parlé. Tout n’est pas joué », prévient Moussa Diaw, enseignant-chercheur en science politique à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis.

D’après plusieurs sources, des contacts commencent déjà à se nouer entre le camp de l’ancien chef de l’Etat et celui de l’actuelle mouvance présidentielle. C’est une configuration compliquée pour le chef de l’Etat. Il n’est pas tenu de choisir le premier ministre, poste supprimé en 2019 et rétabli en décembre 2021] dans la majorité parlementaire, mais c’est la tradition. Il faudra qu’il évalue les rapports de force, et sa marge de manœuvre est très réduite. » Une cohabitation n’est pas exclue, si le camp présidentiel ne parvient pas à se construire une majorité absolue.

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