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La note : « L’Afrique aux Africains », un slogan françafricain

Alors que la France s’inquiète pour l’avenir de sa présence sur le continent africain, voici que remonte à la surface un slogan bien connu : « L’Afrique aux Africains ! » Mais les dirigeants et commentateurs français qui entonnent ce refrain ont-ils conscience que le tour de passe-passe est déjà très ancien ? La France a cette curieuse habitude, chaque fois qu’elle est en difficulté en Afrique, de se présenter comme la gardienne des intérêts du continent et de ses habitants. C’est ce qui se produisit dès lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à l’aube de la guerre froide et de la décolonisation.

Concurrencé sur le continent par les « Anglo-Saxons » et dans une moindre mesure par l’Union soviétique, qui se présentent alors chacun à leur manière comme les champions de l’émancipation africaine, Paris tente une contre-offensive : « Non, les Africains ne veulent pas l’indépendance ! Voyez Félix Houphouët-Boigny, voyez Léopold Sédar Senghor, et tant d’autres : ils aiment la France! » Mais cette stratégie perdante, à contre-courant de l’histoire, fait long feu. Confrontés au vent persistant de la décolonisation, les dirigeants français se rendent à l’évidence : il faudra bien se résoudre à restituer « l’Afrique aux Africains ».

Ce mot d’ordre, qui trouve sa source dans les milieux éthiopianistes du XIXe siècle et qui fut popularisé par Marcus Garvey à l’orée des années 1920, fait des émules dans les milieux nationalistes et panafricains. Il séduit notamment le leader indépendantiste ghanéen Kwame Nkrumah, qui précise dès 1955 le sens de la formule : « Quand nous parlons de l’Afrique aux Africains nous ne voulons pas dire que nous voulons chasser les Européens d’Afrique. Cela signifie que nous entendons que les gouvernements coloniaux quittent l’Afrique. » Décidé à ne pas se laisser prendre de court, Paris s’ingénie à la fin des années 1950 à transformer en urgence ses alliés africains en leaders indépendantistes.

Senghor, qui regardait l’indépendance comme une lointaine échéance dans « vingt ans » peut-être, confiait-il encore en 1953 – se convertit finalement à l’inévitable au crépuscule de la IVe République. Houphouët, en croisade contre les nationalistes africains, vit comme un déchirement intime l’indépendance que lui impose Charles de Gaulle en 1960. Quant à Léon Mba, qui rêvait de transformer le Gabon en département français, il se voit sèchement remis dans le droit chemin : « Allez, l’indépendance comme tout le monde !  » Ainsi l’Afrique française fut donc rendue « aux Africains ». Ou du moins : aux amis africains de la France.

Et l’idée, si efficacement mise en pratique au sud du Sahara en 1960, inspire les négociateurs français en Algérie qui espèrent y maintenir ce qui se peut des intérêts français en retournant à leur profit le slogan panafricain (qu’El Moudjahid, le journal du Front de libération nationale, déployait fièrement en une de son numéro du 8 décembre 1958, « L’esprit [des pourparlers avec le FLN], c’est celui qui nous dirige depuis que nous avons entrepris la grande œuvre de décolonisation de l’Afrique, explique en 1961 Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes; dans le monde tel qu’il sera demain, nous nous sommes donné pour but de remettre l’Afrique aux Africains et de rendre ceux-ci responsables de leur destin. » Le slogan revient dans le débat public français au milieu des années 1970, dans une atmosphère de nouvelle empreinte de fébrilité.

Certes, la France a fort bien consolidé ses positions en Afrique depuis les indépendances, mais celles-ci semblent alors dangereusement s’effriter. De Dakar en 1968 à Antananarivo en 1972, les jeunesses africaines contestent bruyamment, et parfois avec succès, le néocolonialisme français. Pire : sous la pression populaire ou par opportunisme, certains dirigeants africains, jusqu’aux plus fidèles, commencent eux aussi à protester. Certains critiquent le franc CFA, d’autres la présence des bases militaires. On commence donc à toiletter les accords de coopération. Mais le plus grave est ailleurs : les puissances communistes, jusqu’alors plutôt discrètes sur le continent africain, s’y engagent désormais massivement.

La Chine multiplie les contacts dans les capitales africaines. Cuba envoie des milliers de soldats dans les colonies portugaises pour appuyer les mouvements de libération locaux. Et un spectre déjà ancien revient hanter la presse française : celui d’une « soviétisation de l’Afrique » pilotée directement depuis Moscou. Pour contrer cette insupportable ingérence russe, Valéry Giscard d’Estaing, arrivé à l’Élysée en 1974, se pose en défenseur de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité du continent africain. « La France rejette, en ce qui la concerne, et en ce concerne les autres, toute forme ou toute tentation d’impérialisme », lance-t-il devant Mobutu Sese Seko à l’occasion de sa visite à Kinshasa en août 1975. « Nous affirmons que l’Afrique doit être laissée aux Africains », ajoute-t-il le 10 mai 1976 en ouvrant le troisième sommet franco-africain devant un parterre d’autocrates « amis de la France ». Et d’insister, le lendemain, à l’occasion d’un déjeuner offert en leur honneur au château de Versailles : « L’avenir de l’Afrique, je le répète, est entre les mains des Africains. J’exprime cette idée en ayant notamment à l’esprit la sauvegarde de l’indépendance de votre continent. »

Le mot d’ordre qui portait les espoirs africains se transforme ainsi en slogan giscardien. Fier de sa « trouvaille », le président la recase dans tous ses discours : à Libreville (août 1976), à Bamako (février 1977), à Paris (juin 1977), à Abidjan (janvier 1978), etc. Promenée de capitale en capitale, l’expression « l’Afrique aux Africains », dont Giscard se croit l’inventeur, devient le mot d’ordre officiel de la politique africaine de la France. « Notre objectif, que j’ai été le premier à proposer et qui a été repris depuis par beaucoup d’autres, ressasse-t-il à l’occasion de la visite à Paris de Senghor en mai 1978, est celui de l’Afrique aux Africains, c’est-à-dire un objectif qui consiste à progresser vers une situation dans laquelle les Africains régleront eux-mêmes leurs problèmes, entre eux, à l’africaine, dans le respect de leurs frontières, et sans ingérence agressive venue de l’extérieur. »

Une doctrine bien commode puisqu’elle permet, selon les besoins, de faire tout… et son contraire. Sous prétexte de non-ingérence dans les affaires intérieures des États partenaires, et par respect pour les « coutumes africaines » dont VGE chante les louanges sur toutes les tribunes, on laissera les dictateurs amis massacrer leur peuple, torturer les dissidents et s’enrichir éhontément. Mobutu Sese Seko au Zaïre, Jean-Bedel Bokassa en Centrafrique et les autres sauront exploiter la mansuétude française, en la stimulant au besoin par des contrats d’armement (ou quelques diamants) et par des déclarations alarmantes dans la presse hexagonale. « Ne laissez pas l’Afrique aux Russes », supplie Houphouët dans Paris-Match en janvier 1978.

Mais le principe de non-ingérence est élastique. Dès lors que les supposés « intérêts de l’Afrique » sont menacés, Paris envoie ses troupes pour rétablir l’ordre. L’interventionnisme militaire tricolore est si intense à la fin des années 1970, du Tchad à la Mauritanie, en passant par le Zaïre (pour sauver Mobutu) ou la Centrafrique (pour démettre Bokassa), que la France gagne le surnom de « gendarme de l’Afrique ». Les observateurs ne manquent pas de souligner l’évidente contradiction. 

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